Pierre Kroll trustera, entre autres, la scène du Théâtre de la Toison d’Or à Bruxelles du 31 mai au 10 juin prochain. Le programme de ces soirées est simple: notre homme lâche (un peu) la plume et prend sa langue pour raconter sa vie, ses envies et sa conception du métier…
Il ne s’agit pas d’une conférence académique, du style « Moi, ma vie, mon œuvre ». Mais bien d’un vrai spectacle, fait d’interactivité, de surprises en direct, d’éclats de rire. Et de réflexions, aussi. Car, en ces temps pour le moins troublés, le regard acéré et critique de Pierre Kroll sur l’actualité s’avère plus indispensable que jamais. Le rire aide à soigner les plaies, mais aussi à comprendre, tant que faire se peut, le monde qui nous entoure.
« Si vous voulez un baromètre de la liberté d’expression et comprendre les tabous dans un pays, il faut aller voir les dessinateurs de presse », conseille souvent Plantu. Qui, comme presque chaque fois, n’a pas tort du tout! Surtout quand il ajoute: « C’est quand tout va mal que les humoristes vont le mieux! » De fait… Quel est le point commun entre la Renaissance, la Glorieuse Révolution anglaise, la révolution de Juillet, le Printemps des peuples, l’affaire Dreyfus, Mai 68 et… le nazisme? Chacune de ces périodes a été faste pour la caricature. Longtemps considéré comme mineur, cet art a profité des grandes secousses de l’histoire pour se développer, pour le meilleur et pour le rire.
Mort, sexe et religion
La longévité de l’ami Kroll dans le métier lui a également permis d’observer d’autres constantes. « Les tabous, par exemple, sont toujours les mêmes depuis mes débuts: mort, sexe et religion. Mais, avec une grosse différence: s’il y a dix ou quinze ans, je pouvais difficilement les évoquer, à l’heure actuelle, il est impensable de zapper ce genre de sujets. » Des thématiques diverses et variées, qui donnent un grand pouvoir aux petits dessins de presse. « Plus que des mots, ceux-ci touchent l’émotion et la sensibilité du lecteur dans son subconscient. Quelques traits simplifiés, apparemment imparfaits, quelques taches de couleur… ouvrent la porte à l’émerveillement, à l’urgence d’un questionnement, à la prise de conscience d’une situation humaine intense. C’est à ce moment que le lecteur se sent soudain parcouru par le plaisir d’une liberté palpable. »
Dessinateur et observateur
Et là, ce diable d’homme nous livre des instants mémorables, de belle humanité, dans la foule des malheurs qui nous assaillent. Il enchaîne: « Mon métier de dessinateur de presse est, curieusement, celui qu’on rapproche le plus souvent du thème de liberté, plus encore qu’avec les journalistes ou les reporters. Aux dessinateurs de presse, on pose régulièrement la question de la censure, même dans nos pays démocratiques. On me demande souvent si beaucoup de mes dessins sont refusés ou censurés. On donne aux dessinateurs de presse un rôle de révélateur du degré de liberté, de liberté d’expression et de liberté de la presse, même si ce n’est pas tout à fait la même chose. Pas trop de soucis, ici! Mais je connais des dessinateurs qui ont de nombreux problèmes avec leur gouvernement. Et pas nécessairement des pays arabes, loin de là… Je peux citer la caricaturiste Rayma Suprani au Venezuela, par exemple. Dans son cas, c’est plutôt politique. Sinon, il y a d’autres pays où la religion a beaucoup d’importance et où les radicaux souhaiteraient qu’elle en prenne encore plus. Ce qui fait que ces artistes ont beaucoup de soucis à exercer leur métier. Et je peux vous dire que les menaces de mort sont pour eux quotidiennes. Mais, finalement, je ne fais pas la différence entre les cinq dessinateurs de Charlie Hebdo et les journalistes qui perdent la vie chaque année partout dans le monde. Pour moi, ils ont rejoint tous ces journalistes algériens assassinés durant la décennie noire dans les années 1990. Pourtant, ils étaient aussi musulmans. Donc, ça montre bien que ce n’est pas la religion: le problème, ce sont les fanatiques. Et là, je n’ai malheureusement pas la solution à ce problème. Je suis dessinateur et observateur, c’est tout », conclut-il avec humilité. « Mais cela ne m’empêche pas de dire ce que je pense. Dans les journaux et sur scène. » Faisant feu de tout bois quand il s’agit d’expression libre et de liberté d’expression.