Depuis 2010, année du vingtième anniversaire de la loi Lallemand-Herman-Michielsens, le CAL a repris le flambeau de la lutte. But: sortir pour de bon du Code pénal l’interruption volontaire de grossesse.
Chaque année, se borner à contrer les « antichoix » qui défilaient sous la houlette de Mgr Léonard nous plaçait dans une inconfortable position purement défensive. Nous devions reprendre la main et agir positivement. Si les attaques directes ou insidieuses sur l’IVG provoquaient déjà un début de remobilisation, la relecture des conditions de la dépénalisation partielle de 1990 nous a incités à réfléchir à une nouvelle stratégie. L’histoire ne repasse pas forcément les plats, du moins les enjeux d’aujourd’hui s’inscrivent-ils toujours dans le prolongement des luttes passées, fussent-elles gagnées ou non. Et s’il est une certitude en ce domaine, c’est la fragilité des acquis et la nécessité d’une vigilance sans faille pour les conserver. Alors, comment élargir les champs de liberté et d’émancipation des citoyen.ne.s, précisément en ce qui touche à leur sexualité et à leurs choix de vie?
L’histoire du mouvement laïque a été profondément marquée par la loi de 1990.
40 ans, ça suffit!
L’histoire du mouvement laïque a été profondément marquée par la loi de 1990, à laquelle les responsables de l’époque ont contribué par une action militante de longue haleine et un lobbying politique fructueux. C’est en effet au bureau du CAL que la décision de revendiquer une sortie de l’IVG du Code pénal a vu le jour au milieu des années 1970. Rendue publique lors d’une conférence de presse tenue en février 1977, cette prise de position a débouché sur la rédaction d’une proposition de loi (1), avalisée par le Conseil Central Laïque, et dont la concision sans concessions est remarquable, notamment au regard des frilosités actuelles.
Encore fallait-il trouver des parlementaires prêts à déposer le texte. Lucette Decroly, responsable du groupe de travail « Avortement », son mari Jean Schouters et Georges Liénard, respectivement secrétaire et président du CAL, rencontrèrent une à une toutes les femmes parlementaires du pays pour trouver celles qui voudraient bien s’engager. Après avoir forcé la porte d’André Cools, le trio parvient à ses fins: le 15 décembre 1977, la socialiste flamande Léona Detiège déposait une proposition de loi signée uniquement par des femmes parlementaires. De palabres en concession, la loi dépénalisant partiellement l’IVG sera finalement signée… 13 an plus tard.
Combien de générations faudra-t-il?
En mai 2016, le premier parti à oser remettre le sujet sur la table est celui d’Olivier Maingain, qui cosigne le texte avec sa députée fédérale Véronique Caprasse. Résolument minimaliste, le projet du parti DéFI, très minoritaire à la Chambre puisqu’il n’a que les deux députés précités, a l’immense mérite de se concentrer sur l’essentiel et d’ouvrir la voie. Suivront, en quelques semaines, les propositions de loi PS et Écolo-Groen ainsi qu’une résolution du sp.a début juillet. Mais toutes ces formations sont dans l’opposition. La famille libérale, elle, se tâte encore car elle est liée à ses partenaires de majorité. Or, depuis plusieurs mois, le CD&V presse le gouvernement sur une modification de la législation reconnaissant les « enfants mort-nés ». Au nord du pays, personne ne semble comprendre qu’il s’agit là d’une manœuvre qui vise à cadenasser les conditions qui permettent d’avorter légalement en Belgique. Voire à revenir sur certains acquis. Or, ici aussi, le passé éclaire le présent. Car, déjà à l’époque où se discutait la première proposition sur l’IVG, plusieurs groupes d’élus tentaient d’allumer des contre-feux en déposant des chapelets de propositions de loi « complétant le Code civil en vue d’assurer la protection de l’enfant à naître » (2).
Un douteux cadeau de Toussaint
Le 1er novembre dernier, la N-VA – qui n’a jamais pris position sur l’IVG – sort du bois et emboîte le pas au CD&V pour réclamer la délivrance d’un acte de naissance pour toute fausse-couche, quelle que soit la durée de la grossesse. Là non plus, rien d’étonnant: parmi les nationalistes flamands, un seul député sur 13 avait voté la loi de 1990… Mais cette sortie inopinée a le don d’énerver le MR qui n’avait pas été prévenu. Depuis lors, les lignes bougent enfin. Par la voix de sa députée Carina Van Cauter, en charge des questions éthiques et siégeant en commission justice (3), l’Open-VLD a affirmé qu’un texte serait déposé rapidement. Côté MR, la prudence reste de mise mais on se prépare. Néanmoins, le scénario de 1990 pourrait bien se rejouer: à l’époque, les libéraux avaient glissé dans l’opposition alors que le PS montait au gouvernement, ce qui avait permis le vote de la loi grâce à une majorité alternative.
Quant au parti chrétien francophone, là aussi, des voix s’élèvent aujourd’hui pour tenir compte des risques d’une reculade inacceptable sur l’IVG en tant que droit des femmes. À la suite des récents propos scandaleux d’un chargé de cours de philosophie de l’UCL, le secrétaire général des jeunes cdH a eu le courage de publier une carte blanche soutenant la revendication d’une sortie de l’IVG du Code pénal (4). Même écho chez la présidente du parlement bruxellois, Julie De Groote, qui a elle aussi affirmé qu’elle signerait à titre personnel le « Manifeste des 350 ».
Éviter les manœuvres dilatoires
Il appartient aujourd’hui aux politiques de maintenir le cap. L’IVG concerne tout le monde. Il ne s’agit pas d’un énième débat idéologique entre « laïques » et « cléricaux »; ni même d’une question de femmes face à des hommes peu compréhensifs, même si de nombreuses générations de filles en ont payé chèrement le prix. La campagne du CAL #AvantMaMénopause y fait allusion avec humour, mais aussi avec détermination.
Un droit positif à l’IVG signerait le début d’une nouvelle ère démocratique. Unis, nos représentants doivent barrer la route aux intégristes, aux sectaires et à l’extrême droite qui refont surface et menacent nos libertés, ici, en Belgique, comme dans et hors de l’Union européenne.
(1) Tous les éléments historiques sont contenus dans la brochure de l’époque Positions laïques. Pour la dépénalisation totale de l’interruption de grossesse, Bruxelles, CAL, 1978. À télécharger sur www.laicite.be/laction-laique/nos-engagements/avortement.
(2) Comme celle déposée par Théophile Bataille et consorts (PSC- CVP-PRL-PLC) le 4 décembre 1986; ou encore celle déposée par Émile Wauthy (PSC) et consorts le 27 janvier 1987.
(3) Interview de Carina Van Cauteur dans « Sortir l’IVG du Code pénal: vers une majorité alternative? », vidéo du CAL mise en ligne sur www.canal-cal.be, le 30 mars 2017.
(4) Joaquim Hernandez- Dispaux, « IVG: on n’interrompra jamais le travail de la raison », dans Le Soir, 23 mars 2017.