Le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, Faouzia Charfi, physicienne et professeure à l’Université de Tunis, donnait une conférence à Wolubilis. Rencontre.
Ancienne secrétaire d’État, physicienne et professeure à l’Université de Tunis, Faouzia Charfi est une figure de proue du militantisme des droits de l’homme en Tunisie. Elle le prouve à nouveau avec son dernier ouvrage Sacrées questions… Pour un islam d’aujourd’hui. Pour cette femme de sciences, de culture musulmane, il était primordial d’effectuer un retour aux sources et à l’histoire de la religion pour comprendre son fonctionnement et son adaptation à la société moderne. Convaincue qu’un islam moderne compatible avec les valeurs universelles est possible, cet ouvrage tente de montrer qu’il existe une autre religion musulmane que celle de la violence et de la destruction trop souvent montrée du doigt dans le monde.
L’égalité homme-femme: au cœur de la vie de Faouzia Charfi
Née en 1941, à Sfax, dans une Tunisie alors sous protectorat français, Faouzia Farida Charfi reçoit une excellente éducation. Aucune différence n’est faite entre son frère et elle. Faouzia entame sa scolarité à Sfax puis part à Paris pour y étudier les sciences à la Sorbonne. De nature très curieuse, elle finit par choisir la physique. À cette époque, de l’autre côté de la Méditerranée, son pays se reconstruit lentement. Faouzia Charfi raconte: « Les combats politiques étaient en cours à l’Université de Tunis et les étudiants montaient au front pour réclamer leur liberté. Tous, qu’ils soient à Paris ou à Tunis, préparaient l’indépendance du pays. » L’un des leaders des mouvements étudiants tunisiens n’était autre que Mohamed Charfi, qui deviendra l’époux de Faouzia.
La Tunisie accède à l’indépendance en 1956. Habib Bourguiba en sera le premier président et placera la femme au centre de ses combats en faisant d’elle une citoyenne à part entière grâce au Code du statut personnel, promulgué avant même la Constitution. C’est une première à l’époque dans le monde musulman. La Tunisie est pionnière en matière de droits des femmes dans la région. C’est dans cette nouvelle Tunisie que Faouzia Charfi revient pour entamer sa carrière de physicienne, professeure et femme engagée.
Depuis la lutte pour l’indépendance, la Tunisie a été confrontée à deux idéalismes: l’un traditionnel, l’autre progressiste. Il fallait trancher entre l’application de la charia, souhaitée par les partis religieux fondamentalistes, et celle de la Constitution. Face à cette dualité, le gouvernement s’est accordé pour ne pas appliquer la charia. Mais, ajoute Faouzia Charfi, « la Constitution en Tunisie reste tout de même très ambiguë sur la nature de notre pays car nous ne sommes pas à proprement dit un État dit laïque ». En 2011, après les événements de la « révolution de jasmin » (1), Faouzia est nommée secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur. Elle entame alors un combat pour écarter toute intervention du religieux dans la nouvelle Tunisie libre.
La laïcité prône les valeurs universelles des libertés, c’est donc avec ces arguments que je réponds à la violence des extrémismes.
Le savoir pour faire tomber les barrières de l’extrémisme
Aujourd’hui, les libertés et droits ont été affermis. Mais pour Faouzia Charfi, il est important de rester prudent: « J’ai vu un changement dans les mentalités. C’est un fait, l’islam conservateur séduit les jeunes. Et l’islam politique n’est pas ouvert aux sciences, encore moins lorsqu’elles proviennent de l’Occident. J’ai donc parfois été interpellée par les réactions de certains étudiants qui remettaient en question les théories d’Einstein, par exemple. Face à cela, je ne pouvais pas rester les bras croisés. Aussi, quand je vois et entends dans les médias toutes les violences qu’engendre cet islam radical, cela me pousse à réagir. C’est pour cela que j’ai écrit mes ouvrages. »
Dans Sacrées questions… Pour un islam d’aujourd’hui, Faouzia Charfi tente d’expliquer l’évolution de la religion dans le temps. Dans cet ouvrage, elle déploie une analyse fine qui part des premiers temps et tient compte du contexte historique dans lequel le monde musulman s’est déployé. L’universitaire qu’est Faouzia Charfi ne manque pas de citer de grands noms de l’histoire comme Tahar Haddad, syndicaliste, réformiste social et défenseur des droits des femmes du début du XXe siècle; ou encore Ali Abdel Raziq, juriste et théologien qui, au début de XXe siècle, prônait une séparation du politique et du religieux. L’auteure insiste: « Ce n’est qu’en ayant une analyse précise et riche des textes qui racontent l’histoire de nos origines et notre culture que nous pourrons faire évoluer les mentalités. Lorsqu’on me dit que l’islam est de toute façon politique, je réponds que c’est faux! Cet islam descend des hadiths et de la charia. Des textes écrits par des hommes, il y a des siècles de cela. Le temps et les événements font évoluer les sociétés. Le problème, c’est que nous ne connaissons pas assez notre passé. Tout comme l’Europe ne connaît pas assez l’histoire de l’Orient. Il s’agit ici de nos héritages. »
De l’islam d’aujourd’hui à celui de demain
Les violences naissent de l’extrémisme, quel qu’il soit. Durant la conférence de Faouzia Charfi, au Wolubilis le 8 mars dernier, une dame s’est levée pour poser une question: « Dans votre ouvrage, vous parlez d’un islam des Lumières. Je suis une ex-musulmane et je dois vous avouer que je n’ai vu aucune lueur dans l’islam. » Suite à cette intervention, il y eut un tollé d’applaudissements de la part du public. Une réaction aussi virulente pose question. Faouzia Charfi a également été interpellée par cette réaction. Elle réagit: « Lorsque je me présente comme personne laïque, cela ne veut pas dire que je rejette toute forme religieuse. La laïcité n’est pas en rupture avec le religieux. Chacun doit pouvoir vivre librement sans imposer quelque conviction que ce soit à l’autre. Le respect de l’Autre doit être ce qui guide les sociétés modernes. Regardez en France, en Belgique ou d’autres pays, les croyants et non-croyants vivent côte à côte. La laïcité prône les valeurs universelles des libertés, c’est donc avec ces arguments que je réponds à la violence des extrémismes. »
(1) Nom donné au « printemps arabe » tunisien, entre décembre 2010 et janvier 2011, et qui a vu la chute du régime de Ben Ali, NDLR.