On en parle depuis des millénaires. Et on parlera encore longtemps. La loi du 28 mai 2002 qui régit en Belgique l’euthanasie constitue le jalon d’un itinéraire sans fin.
La Belgique n’a pas inventé l’euthanasie il y a quinze ans. Avant elle, il y eut les Pays-Bas en 1993. Il y eut surtout Platon et avec lui le début d’un questionnement millénaire portant sur la nécessité et/ou le droit de mettre fin à la vie de celui qui souffre.
Les médecins de la république idéale de Platon ne soignaient pas un « homme incapable de vivre le temps fixé par la nature, parce que cela n’est ni avantageux ni à lui-même ni à l’État ». Deux millénaires plus tard, la Renaissance remettra ces idées à l’honneur. Avec Thomas More et son Utopie. Avec Francis Bacon et son Novum Organum. Ce dernier écrit que les médecins doivent apprendre et approfondir l’art d’offrir aux mourants les conditions favorables à une mort douce et paisible en réduisant, le plus possible, leurs douleurs et leurs tourments par des traitements et par une alimentation appropriés. Cette mort douce ressemblerait à un agréable sommeil. À l’époque moderne, Nietzsche ou Carrel traiteront eux aussi de l’euthanasie. Toujours, cette « mort qui veut soulager » a fait débat. Le « Tu ne tueras point » du Décalogue rejoint dans le camp des opposants à l’euthanasie les maximes de certains philosophes antiques, dont les stoïciens.
Ce bref inventaire historico-philosophique doit nous rappeler une évidence: la mort donnée comme moyen de faire taire la souffrance traverse depuis toujours notre société. Les critiques qu’ont eu à affronter la Belgique et une poignée d’autres États ces deux dernières décennies ont été formulées par ailleurs cent fois au cours des siècles.
Un débat toujours âpre en France
La campagne présidentielle française a permis à son tour de constater combien ce débat est toujours vivace. À nos portes. Dans un pays qui incarne l’esprit des Lumières, en dépit de la puissance du Front national et de son empressement à imposer le primat de la nation sur l’individu.
Parmi les partisans de l’euthanasie, le candidat du Parti socialiste Benoît Hamon: « Je créerai le droit à une aide médicale pour mourir dans la dignité pour toutes les personnes atteintes d’une maladie incurable qui le demandent, au moment où elles le demandent. La dignité est un droit primordial qui doit être garanti tout au long de la vie, y compris dans les moments les plus difficiles. » Jean-Luc Mélenchon, au nom de la France insoumise, a dit vouloir autoriser le « suicide assisté ». Philippe Poutou, le candidat du NPA, s’est prononcé en faveur de l’euthanasie et du suicide médicalement assisté.
Parmi les opposants, on a retrouvé sans surprise le candidat des Républicains François Fillon, lequel a rejeté une « mort provoquée et organisée » car elle « présente un risque de glissement vers une euthanasie d’opportunité ». Marine Le Pen chasse – aussi – sur le terrain de la droite traditionnelle. Elle s’est donc dit fermement opposée à l’euthanasie et au suicide assisté, mais « favorable à l’esprit de la loi Leonetti » et de sa révision qui instaurent un droit à la « sédation profonde et continue » jusqu’au décès pour les malades en phase terminale. Quant à Nicolas Dupont-Aignan, il est vivement opposé à toute aide médicale pour la fin de vie. Enfin, Emmanuel Macron a jugé que l’euthanasie n’est pas « une priorité sur le plan de la loi ».
Près de quinze ans ont passé depuis la mort de Vincent Humbert. Devenu tétraplégique, presque aveugle et muet à la suite d’un accident de voiture survenu en 2000, ce jeune homme d’une vingtaine d’années avait écrit à Jacques Chirac pour lui « demander le droit de mourir ». S’en était suivi un long débat sur la question de la fin de vie et de l’euthanasie qui avait débouché sur la loi Leonetti. Bien que celle-ci ait été amendée l’an dernier, les débats sont loin d’être clos. C’est ainsi que l’on a vu en 2015 dans la rue des manifestations conduites par les associations favorables ou, au contraire, opposées à l’euthanasie.
Mauvais œil britannique sur la Belgique
Parler d’euthanasie, c’est souvent toucher au passionnel. En témoigne cet article du Daily Mail qui, en 2015, alertait l’opinion publique britannique sur « l’inquiétant manque de contrôle des pratiques d’euthanasie en Belgique ». Le quotidien se faisait l’écho d’un rapport publié par le Journal of Medical Ethics. L’auteur de cette étude écrivait: « Les citoyens belges devraient être conscients de la situation actuelle, et savoir que leur vie peut en arriver au point où des médecins pensent qu’elle ne vaut plus la peine d’être vécue, et décider de mettre le patient à mort en l’absence de volonté contraire explicite ». Puis il flinguait la Belgique: « Les barrières de sécurité prévues par la loi sont inadéquates et insuffisantes ».
Dans une tribune publiée sur le site du Figaro à la suite de l’article du Daily Mail, un blogueur a écrit: « De tous ces échanges, il faut retenir cette conclusion tout à fait horrifiante: l’euthanasie sans consentement du patient (juridiquement un meurtre donc) est possible en Belgique. Pire encore, elle se fait sous le radar, et une suspicion pèse sur les personnes chargées de contrôler la loi […] Dans ce pays, l’encadrement de l’euthanasie s’est avéré une chimère dangereuse, et laissez-moi vous l’avouer franchement: j’ai peur. »
Différentes façons d’appréhender la fin de vie
Ce « J’ai peur » alarmiste, on le retrouve partout où l’euthanasie fait débat, qu’elle soit interdite ou (plus rarement) balisée par la loi. Car elle reste proscrite dans la plupart des pays, à l’exception de la Belgique, de la Colombie, du Luxembourg et des Pays-Bas. Le suicide assisté est légal en Suisse ainsi que dans cinq États américains (Oregon, Washington, Colorado, Vermont et Californie). Toutefois, sans aller jusqu’à voter des lois encadrant l’euthanasie, de nombreux pays ont légiféré sur l’arrêt des traitements à la demande du patient. Ils ont interdit l’acharnement thérapeutique et institué des initiatives d’accompagnement des malades en n de vie. Mais pour la plupart des États, l’euthanasie reste un crime.
Avancées…
Les pro-euthanasie marquent aussi des points. En 2015 ainsi, la Cour suprême du Canada a invalidé l’article du Code criminel qui interdisait à un médecin d’aider quelqu’un à mourir dans des circonstances bien précises. Le plus haut tribunal du pays a déterminé qu’il était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés, et donc inconstitutionnel, d’avoir une prohibition totale de l’aide médicale à mourir. Il a conclu que l’article du Code criminel alors en vigueur violait le droit à la vie, la liberté et la sécurité de certaines personnes par sa très large portée. La Cour visait les adultes considérés comme capables au sens de la loi, qui donnent clairement leur consentement et qui souffrent de manière persistante et intolérable en raison d’un problème de santé grave et irrémédiable.
La Belgique a franchi un autre pas en 2014 en élargissant la loi sur l’euthanasie aux mineurs « en capacité de discernement ». Les conditions sont très précises: le mineur doit se « trouver dans une situation médicale sans issue entraînant le décès à brève échéance » et être confronté à une « souffrance physique constante et insupportable ne pouvant être apaisée ». La Belgique est ainsi devenue le premier pays au monde à autoriser cette forme de mort assistée qui veut tenir compte aussi de la souffrance des enfants et des adolescents. Les critiques n’ont pas manqué, en interne comme à l’étranger. En 2015, une pétition lancée par une fondation conservatrice chrétienne de droit espagnol exhortait le roi Philippe à ne pas signer la loi ad hoc. Le chef de l’État n’a pas fléchi.
… et tentatives de retour en arrière
Ces propos et ces actions contribuent à faire du débat sur l’euthanasie un espace de réflexions et de convictions sans limites. C’est un chantier condamné à rester ouvert: c’est ainsi que l’an dernier, s’appuyant sur l’affaire Tine Nys, le CD&V a exigé une révision de la loi de 2002. Selon sa famille, Tine Nys, 38 ans, qui était en proie à des souffrances psychiques liées à une séparation, aurait été euthanasiée au terme d’une
évaluation médicale bâclée. Au-delà de la querelle politique (le CD&V n’avait pas soutenu la loi) ce cas illustre une réalité: le sujet restera toujours du domaine de l’incertitude qui va fatalement de pair avec la vie. Et donc avec la mort.