Espace de libertés – Mai 2017

« La laïcité est un concept fondamentalement actif »


Libres ensemble
Olivier Maingain défend bec et ongles le principe de laïcité comme moteur de la démocratie et du vivre ensemble. Pour le couler dans le béton, rien de mieux que la Constitution.

Le président de DéFI s’est fixé justement comme défi d’inscrire le principe de laïcité de l’État dans la Constitution. « C’est un des marqueurs de notre programme voté à la quasi-unanimité! », se réjouit-il. Le député-bourgmestre de Woluwe-Saint- Lambert l’envisage comme un concept « actif et d’émancipation ». Mais il dénonce deux menaces qui pèsent sur le principe de laïcité: sa récupération trompeuse par l’extrême droite et son déforcement par le relativisme culturel d’une certaine gauche prête à tous les accommodements, parfois déraisonnables pour la démocratie. Maingain en est persuadé, le plus sûr moyen de donner au principe de laïcité son authenticité et une assise juridique irréversible est de l’inscrire dans la Constitution.

Espace de Libertés: C’est quoi, pour vous, la laïcité?

Olivier Maingin: C’est avant tout un principe juridique. Qui non seulement garantit l’égalité de traitement entre tous les courants philosophiques et religieux mais consacre aussi la primauté de la loi civile sur les prescrits religieux. Il garantit que l’autorité de l’État est supérieure à toute autre autorité. Donc, c’est un principe d’équité et de protection du pluralisme, des convictions, de la liberté de conscience.

C’est à l’origine un principe philosophique…

Il est le fruit d’une réflexion philosophique, d’une évolution de la société qui, à partir des Lumières, s’est affranchie du dogme religieux comme repère absolu de toute décision. Ne confondons cependant pas laïcité et athéisme! La laïcité n’est pas l’imposition de l’athéisme à l’ensemble de la société. À titre personnel, je suis athée et me revendique laïque; mais vous pouvez être catholique, musulman ou bouddhiste et être autant que moi attaché au principe de laïcité dès lors qu’il s’envisage comme protection de vos convictions. À une époque, la religion, notamment catholique, en fut l’étouffoir par l’imposition de choix de société et de comportements personnels.

Ne confondons pas laïcité et athéisme! La laïcité n’est pas l’imposition de l’athéisme à l’ensemble de la société.

Dans ces colonnes, Patrick Dewael, autre artisan de l’inscription du principe dans la Constitution, disait préférer le terme « neutralité » à « laïcité ». Il a tort?

La notion de neutralité n’existe dans aucun corps de référence juridique. En revanche, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu toute l’importance du principe de laïcité dans l’affirmation de la liberté d’expression, de pensée et de conviction. Préférer le terme « neutralité » est une attitude de partis qui n’osent pas le mot « laïcité », trop connoté à leur goût par la France ou par la laïcité philosophique erronément assimilée à l’athéisme.

Pourquoi estimez-vous la notion de « neutralité » trop courte?

Car elle laisse entendre qu’un État neutre est un État passif, qui ne fait pas de choix et qui pourrait aller jusqu’à ne pas se prononcer sur des questions éthiques. Alors que la laïcité est un concept fondamentalement actif, d’émancipation, d’exigence de dire que sans la loi pour garantir la liberté de choix de pratiquer l’avortement, l’euthanasie ou autres, les options religieuses l’emporteront. La laïcité est une conquête continue face à toutes les formes d’obscurantisme. Comme le dit très bien Caroline Fourest, la laïcité est un bouclier, une protection juridique face au dogmatisme. Monsieur Dewael doit donc oser le mot « laïcité » car juridiquement, c’est important.

Aujourd’hui, le principe de laïcité est récupéré politiquement ou alors remis en question. Comment analysez-vous ces attitudes?

Faisons un sort à tous ceux qui dévoient la laïcité. Les Le Pen et compagnie veulent clairement rétablir le catholicisme comme religion d’État. Fillon aussi. Puis, aux antipodes, on trouve une certaine gauche qui, elle, tourne le dos au principe de laïcité de l’État au profit d’un relativisme absolu par rapport aux courants religieux. Cette gauche considère qu’il ne faut en rien stigmatiser les appartenances ethniques et communautaires et qu’il est préférable de fermer les yeux sur ceux qui ont un projet politique au départ de leurs conceptions religieuses. Il y a un relativisme, une politique de l’autruche et un manque de courage à assumer ce débat. Cette démission permet aussi aux extrémistes d’en face de se réapproprier de manière scandaleuse la notion de laïcité comme arme discriminante vis-à-vis de certaines populations.

La laïcité est donc prise en tenaille…

Oui, il y a une réelle convergence entre ceux qui veulent, au nom de l’autorité, prendre appui sur une religion d’État (Poutine, Erdoğan, Le Pen…) et les adeptes du relativisme absolu qui prônent l’abandon de l’universalisme de nos valeurs. Ils poussent à la remise en cause d’avancées démocratiques au profit de pratiques culturelles ou de références religieuses de populations exemptées de partager l’objectif universaliste des droits de l’homme. Ce relativisme menace nos plus grands acquis. Alors que laïcité, liberté de conscience et citoyenneté forment la trilogie fondatrice de notre démocratie.

Inscrire clairement le principe de laïcité dans la Constitution, c’est la clé de sa force légale?

L’autorité politique doit veiller à ce que les règles d’application du principe soient toujours précisées, uniformisées et rendues équitables pour tous. La laïcité ne peut se réduire à une neutralité passive qui mènerait à ne pas se prononcer sur le port des signes convictionnels ostentatoires dans l’exercice de mandats et de fonctions publics. Ou sur le fait de savoir si, dans l’espace de l’école, lieu central de respect mutuel et d’émancipation des jeunes, le port de signes convictionnels est acceptable. Dans l’enseignement, il faut refuser les théories créationnistes, les cours de sports séparés entre filles et garçons. Il faut être ferme face à des comportements et propos radicaux en infraction avec le respect de l’Autre.

Vous avez déposé trois fois (2003, 2012 et 2015) votre proposition d’inscription du principe dans la Constitution. Sans succès. Le contexte est-il maintenant plus mûr?

C’est un processus long dont l’avancée repose parfois sur des opportunités. L’actualité autour du radicalisme et du terrorisme islamiste a donné tout son relief à ce débat. On touche là à une question qui va au plus profond du tissu social et des convictions de chacun. Les partis préfèrent cependant éviter les débats clivants alors qu’ils sont essentiels pour fortifier nos choix futurs de société. Le contexte belge est aussi un frein. Nos sensibilités philosophiques, politiques, linguistiques compliquent ce débat qui ne vit pas de la même manière au Nord et au Sud. La N-VA est mal prise car en son sein vivent fortement les deux courants: laïque et catholique. Le CD&V ne veut toucher à rien, tout comme le cdH. Une majorité de partis sont pourtant prêts à avancer sur une base commune. Reste Écolo, divisé en interne sur le relativisme culturel lié à l’intégration des populations d’origines étrangères.

Laïcité, liberté de conscience et citoyenneté forment la trilogie fondatrice de notre démocratie.

Où en êtes-vous dans les travaux de la Commission de révision et qu’en attendez-vous concrètement?

Chaque parti doit maintenant dire ce qu’il est prêt à accepter. Je prétends que dans l’état actuel du processus de révision de la Constitution, on peut déjà travailler sur l’article 2, celui des « droits et libertés ». Sans attendre la prochaine législature, le principe de laïcité peut déjà être traduit dans quelques articles constitutionnels en un certain nombre de dispositions avec des effets et une légitimité juridique immédiate. Le titre II, « Des Belges et de leurs droits », pourrait accueillir un nouvel article 7 ter rédigé comme suit: « La Belgique est un État laïque, qui garantit la séparation des Églises et de l’État, la primauté de la loi civile sur la loi divine, les droits de l’homme, les libertés fondamentales et l’égalité des femmes et des hommes. » Mais si des termes comme « laïque » ou « laïcité » restent un obstacle pour certains, je suis prêt à les mettre entre parenthèses temporairement. À condition, bien sûr, qu’on renonce aussi au mot « neutralité ». L’essentiel est d’avancer. Nos acquis, les fondements de notre démocratie, doivent être rendus irréversibles par la sanction juridique de notre texte suprême.