Les propositions des acteurs du Pacte pour un enseignement d’excellence vont globalement dans le sens de ce que le CAL défend: plus d’équité et d’égalité en faveur de l’émancipation de tous les élèves. Toutefois, le maintien des réseaux reste assuré.
Du côté du CAL, en 2014, l’annonce d’un Pacte pour un enseignement d’excellence (1) avait de quoi réjouir. D’entrée de jeu, le fait de le nommer «pacte» (comme symbole de filiation au Pacte scolaire de 1959?) augurait l’ampleur des réformes envisageables. Sans compter que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles avait promis des débats sans tabou. Un engagement qui, plus d’un an après, se révèle difficile à tenir.
Début mai, le gouvernement de la FWB a reçu 120 pages de propositions synthétisées par les artisans du pacte. Ce rapport a été présenté comme un ensemble de mesures cohérentes menant à une réforme systémique de l’enseignement. Le gouvernement (PS-cdH), qui devait procéder à de premiers arbitrages, a décidé de demander aux acteurs du pacte des devoirs complémentaires et ne se prononcera pas avant la rentrée scolaire. Les mauvaises langues diront que, depuis le départ de Joëlle Milquet, le cdH aurait perdu de son enthousiasme pour le processus.
Des discussions sans tabou… ou presque
Soyons de bonne guerre, la question des réseaux d’enseignement a bien été évoquée dans les discussions, mais seulement dans le sens d’un maintien du système avec, çà et là, quelques possibles synergies. La question de la légitimité de l’existence d’écoles privées subventionnées à côté d’écoles publiques, avec la dispersion de moyens et la concurrence néfaste aux élèves que cela suppose, n’a pu être mise sur la table. Cela étant, certaines pistes innovantes sont en réflexion, dont celle d’un pilotage local interréseaux: des groupements d’écoles tous réseaux confondus pourraient alors se coordonner en fonction de certains d’objectifs à atteindre.
Les débats furent mouvementés, notamment parce que parler des réseaux, c’est parler de leur financement. Le plus houleux: celui sur la gratuité. De fait, le secrétariat général de l’Enseignement catholique monte systématiquement au front pour conditionner la gratuité de l’enseignement, garantie pourtant par la Constitution, au refinancement de son réseau, faisant fi des différences objectives. Celles-ci –caractère confessionnel, propriété des bâtiments, pouvoirs organisateurs privés…– ayant servi de base, toujours selon la Constitution, pour justifier les différences de traitement entre réseaux. Cette tension entre égalité des élèves et liberté d’enseignement est au cœur du débat, et n’a évidemment pas été résolue.
Que propose le pacte?
Ce renforcement du tronc commun suit donc l’option universaliste, celle qui défend le droit de chaque enfant à accéder aux savoirs de base et à la culture.
À ce stade, le fil conducteur du pacte est un tronc commun pluridisciplinaire et polytechnique jusqu’à 15 ans, sans redoublement, où sept domaines de compétences seraient développés: les langues, les arts, les mathématiques, sciences et techniques, les sciences humaines et sociales, les activités physiques, la créativité et l’engagement et enfin, l’autonomie d’apprentissage. Ce renforcement du tronc commun suit donc l’option universaliste, celle qui défend le droit de chaque enfant à accéder aux savoirs de base et à la culture (2).
Approche systémique oblige, ce tronc commun n’a de sens que s’il s’articule au prolongement de la formation initiale des enseignants. Rappelons au passage qu’en Europe, il n’y a plus qu’en Belgique où cette formation pour les enseignants du primaire ne dure que trois ans.
Tronc commun et renforcement de la formation initiale ont un corollaire aussi médiatique qu’impopulaire: la lutte contre le redoublement qui coûte, en FWB, près de 400 millions d’euros par an, soit 1/10e du budget de l’enseignement ordinaire. À 15 ans, un élève sur deux a déjà redoublé. La Belgique est, sur ce plan, la plus mauvaise élève parmi les pays membres de l’OCDE (3). Nos enfants seraient-ils moins capables que leurs camarades européens de réussir une scolarité sans accroc?
En conséquence, d’autres aspects de la scolarité sont à l’examen: remédiation, étude dirigée et gratuite dans l’école, réorganisation des congés scolaires, phasage de la gratuité, soutien aux directions, aménagement de la carrière des enseignants, obligation scolaire à partir de 3 ans, développement d’infrastructures scolaires suffisantes pour répondre aux besoins démographiques, révolution numérique, etc.
Les pièges à éviter
Depuis le Contrat stratégique pour l’éducation de 2005, la gouvernance du système éducatif est de mise suivant le triptyque: régulation par le politique, responsabilisation des acteurs et évaluation (externe) des résultats (4). Il n’est pas anodin que les termes d’efficience, d’autonomie, de responsabilisation, de consultation et de contractualisation (l’évaluation d’objectifs émis par une autorité centrale) soient omniprésents dans le pacte. Pourquoi pas, tant que cette gouvernance ne s’assortit pas du désengagement de l’État.
Cela dit, ce mode de gouvernance diminue le pouvoir du politique, car les décisions se prennent dans une triangulation entre le politique, les acteurs de terrain (en ce compris les syndicats et les pouvoirs organisateurs) et les experts (pensons ici au rôle de Mc Kinsey). Les députés de la FWB ont d’ailleurs manifesté à plusieurs reprises leur mécontentement d’être exclus des travaux. À l’autre extrême, ce sont les acteurs de première ligne (dont les enseignants) qui ont l’impression de ne pas toujours être entendus. Pourtant, cette refondation de l’école n’a de chance d’aboutir que si les acteurs de terrain s’en emparent et que le politique lui donne les moyens d’accomplir ses missions. Au risque de revivre le fiasco de précédentes réformes, comme celles destinées à lutter contre le redoublement, menées jusqu’ici sans moyen et sans vision d’ensemble. Il faudra donc que le gouvernement, puis le Parlement, retiennent du pacte un ensemble cohérent de mesures et dégage les moyens budgétaires nécessaires à leur réalisation, soit en augmentant l’enveloppe de l’enseignement, soit en la répartissant autrement. Vu l’état des finances de la Fédération, la deuxième option sera sans doute retenue. Dans cette nouvelle répartition, il nous faudra, encore et toujours, veiller à ce que l’école publique ne soit pas déforcée.
(1) Voir dossier «Pour que l’école excelle», Espace de Libertés, n°442, octobre 2015, pp. 28-63.
(2) L’option différentialiste, au contraire, prône une orientation précoce des élèves et est défendue par ceux qui affirment que tout se joue avant 3, 8 ou 14 ans.
(3) Organisation de coopération et de développement économiques.
(4) Anne Van Haecht, «Fragmentation des compétences de l’État: le cas de la Communauté française de Belgique», dans Cahiers Internationaux de Sociologie, n° 121, 2006/2, pp. 341-352.