Fermées, reconverties, voire détruites au grand dam du patrimoine architectural, les maisons du peuple qui poussaient comme des champignons dans nos contrées ont aujourd’hui fermé leurs portes. Jusqu’à la fin de l’été, l’expo qui leur est consacrée à La Fonderie relie le passé au présent, avec ce qu’il reste aujourd’hui de l’esprit solidaire et coopératif.
«Ici, le rêve prend la solidité de la pierre, sans perdre la hauteur de l’esprit», disait Jean Jaurès à propos des maisons du peuple. Lieux de vie sociale et politique pour la classe ouvrière et creuset des luttes contestataires de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, elles ont depuis mis la clé sous la porte. À l’initiative, en 2013, de La maison du peuple virtuelle (1) qui rassemble des associations progressistes bruxelloises, Présence et Action culturelles consacre une exposition tout entière à celles que l’on baptisa les «églises des ouvriers».
L’histoire
« Purs produits des coopératives, les maisons du peuple puisent leurs racines dans les généreuses théories utopistes qui ont marqué tout le XIXe siècle avec leur projet de cités chimériques. » (2) Entre 1870 et 1940, une grande variété de maisons du peuple se bâtit à travers l’Europe. Ces établissements sont le lieu physique de structuration des masses ouvrières et contribuent à l’obtention de réelles avancées en matière de droits politiques et d’accès à l’éducation. Ce sont aussi des lieux de rencontre, de convivialité, des espaces de réflexion, de solidarité, de culture et d’émancipation. En Belgique, les maisons du peuple assurent l’ancrage du Parti ouvrier belge fondé en 1885.
Dès les origines, les maisons du peuple sont portées par leurs sociétés coopératives qui fournissent aux ouvriers des produits à bon prix et assument les frais liés à l’achat et au fonctionnement des bâtiments ainsi qu’aux investissements. Les maisons abritent des magasins coopératifs (boulangerie, épicerie, bouchère, pharmacie…) et des services (confection, charbon, café…), ainsi que des sociétés d’éducation et de loisirs. Elles accueillent également des activités syndicales, mutualistes et politiques. Enfants, jeunes gens, adultes et personnes âgées trouvent en un seul lieu des activités qui leur sont spécifiquement destinées.
Contexte social, économique et politique, chronologie, architecture liée aux fonctionnalités des lieux sont ainsi abordés dans la première moitié de l’exposition dans laquelle on s’attarde sur les maisons de la capitale, a fortiori sur celle de Bruxelles-Ville qui donne à voir un peu de son reliquat.
L’héritage
Si l’autonomisation des syndicats et des mutuelles, la faillite des coopératives et l’évolution des mentalités vers plus d’individualisme ont sonné le glas des maisons du peuple, elles gardent cependant une valeur symbolique forte. Et aujourd’hui, ce qu’on appelle l’économie sociale a pris le relais en cherchant à répondre aux défis sociaux et environnementaux qui se sont présentés au fil du temps.
Grâce à des initiatives émergeant de citoyen.ne.s et basées sur le partage et la collaboration, le rêve coopératif subsiste aussi aujourd’hui. La seconde moitié de l’expo propose au visiteur d’explorer différentes formes de pratiques collaboratives en place à Bruxelles: covoiturage, location de logements entre particuliers, crowdfunding, troc, échanges, dons, coworking, cohabitat, recycleries… sont autant d’illustrations de cette économie du partage fondée sur les échanges de biens, de services ou de connaissances entre particuliers. Ces expériences révolutionnent notre comportement de citoyen: l’individu n’est plus seulement consommateur mais aussi acteur, producteur de biens ou de services, créateur, financeur ou décideur.
BEES coop Supermarket, Energiris, Velofabrik Brussels, FinanCité, Community Land Trust Bruxelles, les quelques coopératives bruxelloises qui s’exposent à La Fonderie sont représentatives de cette économie du partage réinventée qui entend redonner du sens au lien social, à la coopération et au bien-être commun.
(1) Page Facebook: La maison du peuple virtuelle.
(2) Françoise Fonck, Les maisons du peuple en Wallonie, Namur, Institut du patrimoine wallon, 2010.