Espace de libertés – Décembre 2015

Un « Coming out » drôle et délicat


Arts
En équilibre très stable entre détails réalistes et purs moments de comédie, « Coming out » explore la découverte de l’amour et, surtout, la difficulté d’avouer son homosexualité à son entourage. Une confession en guise de réflexion sur l’acceptation de la différence.

« Quelle la différence entre un PD et un nègre? Si vous êtes nègre, vous n’avez pas besoin de le dire à vos parents! »… Vu cette saillie qui émaille le début du spectacle Coming out, on pourrait penser que celui-ci nous la rejoue façon Cage aux Folles, avec une avalanche de clichés et de blagues de corps de garde. Mais il n’en est rien. Et c’est évidemment tant mieux!

Des romans à la scène

Ce one-man-show est en fait le résultat du travail de réécriture réalisé par Alain van Crugten, professeur de littérature à l’ULB, écrivain et traducteur littéraire. Qui a puisé la matière de ce spectacle dans trois romans majeurs de l’écrivain néerlandophone Tom Lanoye. « Un fils de boucher avec de petites lunettes, Les boîtes en carton et La Langue de ma mère: c’est à partir de ces trois livres que j’ai conçu la pièce », nous confirme l’auteur du spectacle. « Il s’agit de romans très autobiographiques dans lesquels l’écrivain flamand revient sur sa jeunesse dans les années 80. Période durant laquelle il a vécu ses premières amours homosexuelles. Et choisi de révéler, après plusieurs années d’hésitation, la différence qui est la sienne à ses parents. »

Entremêlant réalisme, poésie et humour, Coming out alterne « les passages sentimentaux, les détails réalistes sans fard, et les scènes de comédie », selon van Crugten. Il enchaîne: « J’ai voulu raconter la découverte de l’amour par un adolescent. Puis, quelques années plus tard, la difficulté d’annoncer son homosexualité à des parents aimants, mais vieux jeu. Les passages sentimentaux et les détails réalistes sans fard alternent avec des scènes de comédie », explique encore celui qui résume son travail sur Coming out en disant que « Lannoye m’a donné le droit de puiser dans ses livres. À charge pour moi de mes les approprier sans les dénaturer ».

Jeux de langue au cœur de l’adaptation littéraire

Et cet exercice est bien entendu très différent de celui auquel se livre van Crugten depuis des années, en tant que « simple » traducteur. Notamment avec une série d’auteurs slaves, mais aussi avec des Belges. Comme, outre Tom Lannoye, Hugo Claus. Pour qui il a traduit le somptueux Chagrin des Belges, en parvenant à rendre toute la subtilité de la langue d’origine. « La traduction et l’adaptation littéraire, c’est une expérience qui s’accumule au fil du temps. La première traduction littéraire que j’ai faite est celle d’une pièce de l’auteur polonais Witkacy. J’ai donc commencé par quelque chose de très complexe. Et, par la suite, je n’ai plus jamais eu peur de la difficulté. Petit à petit, je me suis rendu compte que, moi aussi, j’aimais jouer avec la langue. C’était presque comme si je jouais au Sudoku, ou aux mots croisés: une sorte de dé intellectuel. Cela paraissait intraduisible. Mais, au fond, rien n’est intraduisible. S’il n’est pas possible de trouver un équivalent du mot ou de l’expression en français, alors il faut adapter. Tout en ne trahissant pas la pensée de l’auteur. Je me suis ensuite rendu compte que j’aimais écrire, que je portais même en moi un fort désir d’écriture, auquel je n’ai d’ailleurs pas cru pendant longtemps. Si vous n’aimez pas écrire vous-même, vous ne pouvez pas vous lancer dans la traduction littéraire, car vous n’allez pas essayer de rendre les choses impalpables, ni prendre en compte l’élément du choix artistique. Je suis à la fois écrivain et traducteur. Et pour Coming out, j’ai donc mêlé les deux métiers. »

Pour un résultat composé de dialogues savoureux et de situations inattendues. Bilan: c’est drôle tout en étant bouleversant, sincère sans jamais être vulgaire, direct sans être provocateur… Et ce spectacle montre que l’on peut aborder la révélation de l’homosexualité sans viser en dessous de la ceinture ou se révéler moqueur. En militant pour l’acceptation de la différence sans être donneur de leçons. Une franche réussite!