Espace de libertés – Janvier 2018

Pour une fumette légale et encadrée


Libres ensemble

Après Écolo en mars dernier, c’est au PS de déposer une proposition de loi-cadre visant un modèle belge de réglementation du cannabis. Pourtant, au niveau décisionnel, tout indique un retour en arrière, vers la fameuse « tolérance zéro ». Une nouvelle occasion pour rappeler que le CAL a lui aussi, depuis longtemps, sa petite idée sur la question…


Depuis 2002, la position du Centre d’Action Laïque est très claire, l’État doit organiser, à travers un cadre légal strict, l’ensemble de la filière de production des substances psychotropes: culture, fabrication, transformation, vente, distribution et modalités de consommation. Sa proposition de loi, récemment publiée (1), détaille les différentes dispositions prévues en fonction des types de produits répartis en trois groupes (cannabis/substances stimulantes et hallucinogènes/opiacés et cocaïne). En ce qui concerne le cannabis, cette position rejoint celle de nombreux experts, professionnels de la santé, sociologues, juristes, avocats, travailleurs du secteur associatif… de par le monde.

Des valeurs sous-jacentes

De tout temps, l’homme a recherché le plaisir via l’expérimentation de sensations inédites. Dès lors, la possibilité d’une éradication totale des substances psychotropes s’apparente à un leurre. On ne peut que constater que la prohibition en vigueur depuis de nombreuses années a davantage aggravé les problèmes sociaux, sanitaires et sécuritaires qu’elle ne les a réglés. Proposer une politique responsable et humaniste de prise en charge en cette matière devient alors une évidence.

La proposition de loi du CAL découle d’une vaste réflexion initiée sur base des valeurs laïques essentielles que sont la responsabilité, l’autonomie et la liberté de choix, s’émancipant ainsi d’un paradigme qui tend à infantiliser les individus et à diaboliser leurs comportements. Une politique de réglementation, d’encadrement légal, n’induit en rien la promotion de l’usage mais amène une meilleure protection des consommateurs, leur garantissant des produits contrôlés et leur offrant un accès aisé aux conseils de réduction des risques. Elle permet également une approche préventive envers les plus jeunes, sans tabou, via un dialogue libéré de l’interdit. Elle vise en outre à briser le marché noir et le monopole ma eux des trafiquants.

La proposition de loi du CAL permet une approche préventive envers les plus jeunes, sans tabou, via un dialogue libéré de l’interdit.

Les dispositions de la proposition du CAL relatives au cannabis entendent faire évoluer les législations tabac et alcool existantes vers un renforcement de la prévention. En effet, la vente de ces produits est libre mais en comptoir spécifique ou commerce spécialisé et toute publicité est interdite. Le texte détaille en outre de manière très rigoureuse les conditions de production, de transformation et de mise en vente du cannabis et de ses dérivés. Un article dépénalise la détention pour un usage personnel à partir de 16 ans. Ce qui correspond à une réalité sociologique de consommation.

Avec ou sans « cannabis social club »

La proposition du CAL prévoit notamment la possibilité d’une autoproduction pour des particuliers. Néanmoins, elle ne préconise, ni n’interdit, le recours aux cannabis social clubs (2) alors que la proposition-cadre du PS organise son modèle de régulation quasi exclusivement par leur intermédiaire.

Selon l’expertise du CAL, les cannabis social clubs ne constituent pas la solution la plus efficace pour rencontrer les attentes du plus grand nombre de consommateurs. Une partie non négligeable de ceux-ci risque en effet de ne pas y avoir accès, que ce soit par défaut d’habitude associative ou bien par manque d’accessibilité. Il semble en effet peu envisageable qu’il puisse y avoir un cannabis social club dans chaque village. Les consommateurs moins mobiles ou plus précarisés pourraient donc se retrouver exclus de ce type de réseau de distribution. À ce problème d’accessibilité, la proposition de loi d’Écolo n’offre pas une réponse plus appropriée puisqu’elle organise seulement dix officines de vente agréées réparties dans toute la Belgique. Or la réalité de la consommation est bien plus diffuse sur l’ensemble du territoire. Un problème en matière de respect de la vie privée se pose en outre, car pour être membre d’un cannabis social club, il faut se déclarer comme consommateur, ce qui implique de facto une forme de fichage.

Ce que nous révèlent les sondages

Un des arguments privilégiés des opposants à toute réglementation tient en ce que la population ne serait pas prête à un tel changement de politique. Or, rien ne semble plus erroné! L’expérience démontre que si un effort pédagogique auprès du public est réalisé, le projet est bien compris. Les gens adhèrent en grande majorité aux avantages en matière de santé publique et de lutte contre les réseaux mafieux qu’un tel projet de modification législative induit.

Les résultats des sondages menés depuis février dernier par le CAL/ COM, le CAL/Luxembourg et son service Drugs’care lors de différents stands d’informations se révèlent très instructifs à cet égard. Par exemple, au cours du festival Les Solidarités à Namur qui rassemble un public familial, pas moins de 262 personnes se sont exprimées à ce sujet à l’aide d’un questionnaire. Et les réponses sont sans équivoque. À la question « Avez-vous déjà consommé du cannabis? », une personne sondée sur deux déclare avoir consommé du cannabis au moins une fois dans sa vie. À la question « Le fait que la justice sanctionne les détenteurs de cannabis pour consommation personnelle est-elle une bonne chose? », sept personnes sur dix se disent opposées à la législation répressive actuelle. À la dernière question relative à la réglementation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis, huit personnes sur dix se déclarent en faveur d’une légalisation de ce produit en Belgique.

Finalement, le bilan de ces multiples interpellations depuis février sur la question de la réglementation du cannabis établit que les résultats sont chaque fois similaires avec 80% de personnes favorables à une autre politique en matière de cannabis! Des résultats qui démontrent qu’une loi privilégiant une approche sanitaire et préventive à l’approche judiciaire et répressive actuelle doit être soumise une bonne fois pour toutes aux votes de nos élus!

 


(1Drogues: pour une stratégie vraiment efficace. Les propositions du CAL, Centre d’Action Laïque, 2017. Une proposition de loi (forcément pas déposée) clé-sur-porte rédigée sous cette forme spécifique pour interpeller les politiques.
(2) Groupes de partage organisés sous forme d’ASBL qui gèrent la production et la distribution de cannabis en cercle fermé pour les besoins personnels de leurs membres.