Au pays, tous vivaient de leur musique, de leur voix, de leur instrument. Mais la guerre, les représailles ou leurs opinions politiques les ont obligés à fuir. Réfugiés en Belgique, ils ont trouvé le moyen de continuer à vivre de leur art et de transmettre leurs cultures au travers de « Refugees for Refugees ». Un projet musical riche, novateur et symbole de mixité.
« Bonjour! Dag! As-salam alaykom! Tashi Delek! » Les premiers mots de la journée entre les musiciens donnent déjà le ton. Ici, les langues s’entrechoquent, se mélangent et se réinventent. Les dix musiciens qui composent le groupe Refugees for Refugees viennent en effet de contrées très différentes: la Syrie, l’Irak, le Pakistan, l’Afghanistan, le Tibet… et la Belgique. « Parfois, on a des problèmes de communication », s’amuse Tammam Al Ramadan, musicien syrien réfugié en Belgique depuis 3 ans. « Mais on a une langue internationale: la musique. C’est vrai qu’on se sert généralement de la musique pour faire comprendre ce qu’on veut dire », ajoute Tristan Driessens, musicien belge et directeur artistique du groupe. Et ça fonctionne! Petit à petit, les notes s’envolent… Le ney syrien (flûte traditionnelle) de Tammam semble donner une nouvelle dimension aux chansons d’amour afghanes du troubadour Aman Yusu , alors qu’Asas Qizilbash, le dernier joueur de sarode du Pakistan, dialogue à travers son instrument à cordes avec le quanum du virtuose irakien Souhad Najem, comme s’ils avaient toujours joué ensemble.
Des ponts sonores
Après plus de 40 concerts à travers l’Europe, une harmonie se dégage du groupe… même si les débuts ne furent pas toujours faciles. « Entre la musique urbaine de Bagdad et la musique villageoise de la haute montagne du Tibet, il y a évidemment un grand fossé. Mais avec beaucoup de créativité, d’ouverture d’esprit, et surtout en se servant des affinités humaines qui se tissent entre nous, on peut faire des choses fabuleuses », explique Tristan Driessens. C’est lui qui est chargé de créer des ponts sonores entre les différentes cultures musicales. « On suit en quelque sorte la route de la soie… en s’autorisant quelques détours ».
Né en octobre 2015, le projet Refugees for Refugees ne devait au départ donner lieu qu’à la production d’un CD. L’ASBL Muziekpublique voulait alors rassembler des musiciens réfugiés en Belgique pour changer l’image négative qui collait à la peau des migrants. Mais le succès du groupe a dépassé toutes les attentes. « Il y a eu un tel retentissement, on a senti qu’il y avait beaucoup d’intérêt de la part des médias et du public », explique Lynn Dewitte, chargée du label Muziekpublique. « On a décidé de continuer le projet car pour ces personnes, c’était l’occasion de trouver une place ici et de valoriser leur travail en tant que musicien ».
L’épanouissement retrouvé
Quand tu donnes, tu reçois en même temps. Et ça, c’est très bon en musique.
Cette opportunité, Tammam Al-Ramadan ne l’a pas ratée. Professeur au conservatoire d’Alep, Tammam a 22 ans quand il décide de fuir la guerre en Syrie. Arrivé en Belgique en février 2014, il passe par un centre d’accueil, avant d’obtenir son visa quelques mois plus tard. Il apprend le français à une vitesse exceptionnelle, passeport selon lui pour se recréer un réseau et une vie en Belgique. Mais c’est en rejoignant Refugees for Refugees qu’il s’épanouit réellement. « Je n’étais pas d’accord de quitter mon pays, mais pour le moment, on n’a pas d’autre choix que de fuir la guerre et la destruction. Refugees for Refugees, c’est l’un des meilleurs projets sur lesquels j’ai travaillé. C’est un échange. Sur une musique tibétaine que je n’avais jamais entendue, j’essaie de mettre mon instrument à disposition. Quand tu donnes, tu reçois en même temps. Et ça, c’est très bon en musique. » Cet échange, ce partage, il le vit également via les cours de ney qu’il donne à Muziekpublique. Lancé en septembre 2017, son cours attire 13 élèves chaque semaine. Et cet ancien professeur du conservatoire d’Alep n’a rien perdu de sa passion de la transmission. « Je ne m’attendais pas à avoir autant d’élèves car ce n’est pas un instrument très connu, même dans la musique orientale. Quand je joue de la flûte arabe, c’est une musique étrangère ici. Mais mes élèves sont vraiment intéressés, ils progressent, je suis très content. »
Retour à la légèreté
Retour aux répétitions. Sur scène, Tristan donne des indications à Tarek al Sayed, le joueur d’oud (instrument à cordes pincées très populaire dans les pays arabes). De l’autre côté du plateau, Tammam teste quelques accords avec Fakher, son ami musicien, également originaire d’Alep. Entre les morceaux, chacun se félicite, se conseille et petit à petit les rires retentissent. « Je connais le récit de vie de chacun de mes collègues », nous raconte Tristan. « Certains musiciens portent sur leurs épaules des deuils, des passés très lourds, des traumatismes. Pourtant, la musique peut alléger tout ça. Le fait de pouvoir s’exprimer en Europe à travers leur instrument, leur art, ça allège beaucoup. Malgré les réalités de vie qui sont toujours là, la musique installe une ambiance de joie, elle peut vraiment guérir… C’est très beau à voir. »
Un éclat de rire ressort plus que les autres. C’est celui de Dolma, chanteuse tibétaine réfugiée en Belgique depuis 10 ans. Seule femme du groupe, elle a retrouvé grâce à Refugees for Refugees le plaisir de remonter sur scène et de partager sa passion avec le public. Un public qui est au rendez-vous puisque la plupart des concerts du groupe affichent complet. Et un nouvel album est en préparation. Mais chut! Sur scène, le calme est revenu. Seule reste la voix cristalline et envoûtante de Dolma. Un moment magique, en suspension.