Spécialiste de la diaspora africaine, le sociologue et économiste américain Stephen Small insiste sur l’urgence de « décoloniser les esprits ». Son point de vue anglo-saxon sur la place des communautés noires d’Europe bouscule certains préjugés historiques.
Si la visibilité de certains artistes ou sportifs issus de la communauté noire, l’adoption de textes législatifs contre le racisme ou les efforts de certaines entreprises en matière de diversité témoignent d’une évolution des mentalités, celle-ci reste marginale par rapport aux inégalités dont elle est toujours victime. En une petite phrase, Stephen Small, professeur d’études africaines et américaines à l’Université de Berkeley, résume tout son dernier livre (1): Les lois antiracistes en Europe sont fortes sur le papier. Mais faibles sur le terrain. Il est vrai que l’arsenal législatif n’autorise plus de dérives racistes, comme on a pu en connaître au temps (pas si lointain) des colonies. Mais ce racisme visible a cédé la place à des discours plus pernicieux, qui revêtent la forme de propos identificatoires, nationalistes ou qui mettent en exergue des problèmes de comportements ou de culture liés aux populations noires. Les stigmatisations ont la vie dure. Un exemple parmi d’autres: la danse, la musique ou le sport ne comptent plus leurs stars, mais où sont les professeurs d’université noirs? les hommes politiques? les directeurs d’entreprises? C’est de ce constat qu’est parti Stephen Small: « Je ne pense pas que les conditions de la communauté noire en Europe se soient vraiment améliorées: cette communauté est plus nombreuse qu’avant, et dans le même temps, il y a de plus en plus de pauvreté, de chômage, de discrimination, de violence à son égard. Et, alors que les Noirs sont pour la plupart des citoyens nés ici, ils continuent à être traités comme s’ils étaient des immigrants. On continue à nous dire que nous sommes redevables à l’Europe et ce n’est pas vrai: l’Afrique et sa communauté ont permis à l’Europe d’être ce qu’elle est. »
Où sont les professeurs d’université noirs? les hommes politiques? les directeurs d’entreprises?
Exiger un débat sincère sur le colonialisme
Dans son chapitre consacré à l’histoire de l’Europe noire, l’auteur revient sur le passé colonial de notre continent. En rappelant que l’Europe a bâti avec l’Afrique des relations basées sur l’invasion et la conquête, dès l’Antiquité, avec pour paroxysme les Découvertes du XVe siècle, jusqu’à l’établissement des comptoirs commerciaux et ensuite des colonies. Si dès le XVIIIe et le XIXe siècle, certains Noirs qui parviennent à s’affranchir de l’esclavagisme viennent en Europe, de façon générale, leur nombre reste peu élevé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Alors que des millions d’Européens se sont toujours installés sur les continents africain et américain. Stephen Small démontre comment la perception européenne de la communauté noire reste influencée par ce passé. « Ce que l’on enseigne dans les écoles en Angleterre me met en colère. Parler des bienfaits du colonialisme, c’est un discours que je refuse, car le colonialisme c’est de la brutalité, de la violence, des viols. Or, les professeurs nient cela. Je ne peux que rappeler que l’histoire a pour mission de raconter les faits dans leur totalité. Je pense donc que c’est très important d’avoir une vraie conversation avec les académiciens et d’exiger un débat plus sincère au sujet de la colonisation. » Avec, à terme, la possibilité d’envisager la question des réparations. Mais l’Europe est toujours dans le tabou par rapport à son passé, et à travers les monuments, les musées et même les noms de rue, elle continue à rendre hommage à ceux qui ont largement contribué à justifier le colonialisme par des discours basés sur l’inégalité entre les peuples.
Parcours différents, mêmes problématiques
Stephen Small rappelle que la communauté noire est implantée depuis des siècles aux États-Unis, ce qui n’est pas le cas en Europe. On se souvient notamment du vote de la loi pour l’abolition de l’esclavagisme aux États-Unis, alors que les Européens occupaient toujours de vastes territoires colonisés…
Mais les problématiques rencontrées sont identiques sur les deux continents: ségrégation outre-Atlantique, exclusion en Europe. Sans oublier que le passé colonial n’est jamais loin… Et puis, bien sûr, la diversité est très importante au sein de la communauté noire européenne: « Une diversité de cultures, d’ethnies, de religions, de nationalités… qui fait que nous n’avons pas tous les mêmes attentes, résume Stephen Small. Mais pour moi, la raison principale du manque de représentativité de la communauté noire s’explique par l’existence d’un racisme, qui est aussi souvent nié par les autorités académiques ou le monde politique, qui prétendent qu’il n’est qu’isolé. Mais à travers cette étude, je prouve que le racisme est toujours étendu et qu’il continue à y avoir une réticence à voir des personnes noires devenir leaders et représenter des non- Noirs… »
(1) Stephen Small, 20 Questions and answers on black Europe, coll. « Decolonizing the mind », Amrit Publishers, 2017, 240 pages.