La situation des humanistes, laïques, athées, agnostiques, non-croyants et/ou libres-penseurs est encore loin de s’être améliorée en 2017. Le dernier rapport sur la liberté de conscience épingle même une nouvelle escalade de violences dans différentes partie du monde.
Présenté le 5 décembre dernier au Parlement européen par l’International Humanist and Ethical Union (IHEU), le rapport sur la liberté de conscience examine pays par pays les discriminations et persécutions à l’encontre des personnes se déclarant non-croyantes; discriminations et violences perpétrées par les autorités publiques elles-mêmes et/ou par des acteurs non étatiques (groupes ou activistes islamistes par exemple).
En 2017, le rapport note une dangereuse escalade de violence contre les non-croyants dans au moins sept pays: au Pakistan, en Inde, aux Maldives, en Malaisie, en Mauritanie, au Soudan et en Arabie saoudite. Au-delà des chiffres des meurtres perpétrés et des arrestations arbitraires, ceux des disparitions suspectes et des condamnations à mort, on découvre le fil d’histoires personnelles qui tissent l’écheveau d’un système de violences organisées. Au Pakistan, c’est le cas de Mashal Kha, un étudiant qui eut le malheur d’exprimer publiquement ses positions humanistes sur Facebook, et qui l’a payé de sa vie sous les coups d’une foule en colère. En Malaisie, les membres d’un « club » athée posant pour une banale photo Facebook sont depuis lors pris en chasse par leur propre gouvernement pour « insulte à l’islam » et possible « apostasie ». Aux Maldives, on peut encore citer le cas de Yameen Rasheed, poignardé à 36 reprises dans le hall de son immeuble pour avoir critiqué les mollahs et exprimé une opinion dissidente. En Arabie saoudite, Ahmad Al-Shamri, suspecté d’avoir voulu « abandonner l’islam », a, depuis 2015, rejoint le rang des prisonniers de conscience aux côtés de Raif Badawi, Waleed Abulkhair et Ashraf Fayad. Après avoir perdu son dernier appel, Ahmad Al-Shamri attend aujourd’hui de payer le prix de son « crime » dans le couloir de la mort.
Violences physiques, pressions et discriminations
Les sept pays précédemment cités ne sont pourtant que la partie la plus visible de l’iceberg. L’IHEU en liste plusieurs dizaines d’autres où la pression sociale et institutionnelle est forte à l’égard des non-croyants. Au total, ce sont trente pays, majoritairement musulmans – mais aussi la Chine, la Corée du Nord ou certaines régions d’Afrique, qui appliquent des violations graves à l’encontre de ces personnes, comme la peine de mort pour celles et ceux qui abandonnent ou changent de religion. Sans oublier l’existence d’un prosélytisme religieux fondamentaliste à l’école publique. Des discriminations moins sévères mais également problématiques existent dans cinquante-cinq pays, y compris des États membres de l’UE où
une législation réprimant le blasphème et l’insulte à la religion est toujours en vigueur. Parmi les dispositifs législatifs et systèmes d’organisation problématiques, l’IHEU liste également l’influence religieuse sur la loi civile, l’accès restreint des non-croyants à la fonction publique, les privilèges institutionnels accordés aux fidèles d’une religion et le contrôle des affaires familiales et de l’état civil par des tribunaux religieux.
La double invisibilité des non-croyants
Le rapport insiste également sur un phénomène dont souffrent les humanistes et non-croyants à travers le monde: celui de leur double invisibilité. La première tient à l’étendue des menaces qui pèsent sur eux/elles dès lors qu’ils/elles ne se conforment pas à la religion dominante. Bien souvent, les athées, humanistes ou celles et ceux qui souhaitent embrasser d’autres croyances, n’ont d’autre choix que de vivre leur « différence » dans le secret le plus total. Pas de liberté d’association ou d’expression pour les non-croyants en Arabie saoudite, au Pakistan, en Mauritanie, au Maroc ou au Bangladesh. Le simple fait de s’amuser de la religion, de formuler son scepticisme par rapport à Dieu ou d’exprimer un point de vue humaniste et scientifique peut conduire à l’enfermement ou à la mort.
Ignorer, oublier ou renier les convictions humanistes des non-croyants ne fait que renforcer leur invisibilité.
D’autre part, lorsque, par conviction ou par principe, ces personnes choisissent d’af rmer leurs opinions et en payent le prix fort, leurs croyances sont bien souvent passées sous silence lors des condamnations politiques et médiatiques internationales. Comme l’explique Bob Churchill, éditeur du rapport et responsable des communications et des campagnes à l’IHEU: « Quand un humaniste est menacé ou attaqué dans son pays à cause de son engagement et de son travail pour le progrès social, les médias ont plutôt tendance à décrire cette personne comme un “blogueur”, un “activiste” ou un “étudiant”. C’est frappant si l’on compare [avec le traitement médiatique accordé aux minorités religieuses]: par exemple, si un activiste chrétien pour la paix se fait attaquer, il y a de grandes chances pour que les médias rapportent les faits en faisant mention à son activisme chrétien. L’agression sera donc perçue comme une attaque contre sa personne mais également contre ses convictions religieuses. Ignorer, oublier ou renier les convictions humanistes de ces personnes ne fait que renforcer leur invisibilité et rendre moins compréhensible la difficulté de leur situation aux yeux du monde. »
Outre son caractère informatif, le rapport sur la liberté de conscience joue donc un rôle de porte-voix pour les non-croyants à travers le monde. À cet égard, on ne peut que se féliciter qu’il ait été présenté au Parlement européen, une institution qui, du fait de sa majorité politique démocrate-chrétienne, a plus souvent tourné son regard vers le sort des minorités religieuses que sur les violations continues de la liberté de ne pas croire.