Espace de libertés – Septembre 2016

Angelo Galvan: itinéraire d’un working class hero


Libres ensemble
Que nous apprend la catastrophe minière du Bois du Cazier, dont on vient de célébrer le 60e anniversaire? Elle nous apprend que la solidarité, l’une des valeurs de base de la laïcité, existe et est possible dans une société multiculturelle.

La catastrophe du Bois du Cazier nous enseigne également que cette même solidarité constitue le seul rempart des économiquement faibles contre le mépris affiché par la toute-puissante machine industrielle lorsque cette dernière néglige le facteur humain pour ne considérer que le seul profit. Hélas, la disproportion des forces en présence, à laquelle s’est mêlée une part de fatalité, a coûté la vie à 262 mineurs asphyxiés par un incendie survenu à 1 000 mètres de profondeur, le 8 août 1956, dans le charbonnage du Bois du Cazier à Marcinelle. Par contre, la solidarité a permis, grâce à l’héroïsme d’une poignée d’hommes pour qui elle était plus qu’une ligne de conduite, de sauver, au péril de leur propre vie, quelques-uns des mineurs ensevelis.

Un renard sous la terre en feu

Le personnage symbole de ce sauvetage désespéré s’appelle Angelo Galvan. Cet homme modeste, qui apprit la vie au fond d’un puits de mine puis comme partisan dans le maquis italien avant de revenir travailler à Marcinelle, s’est élevé, bien malgré lui, au rang de héros absolu, un modèle de courage et de vertu. C’est son histoire que raconte dans un livre indispensable le journaliste carolo Marcel Leroy, qui eut dans sa jeunesse l’honneur de recevoir l’amitié de celui qu’on a surnommé «Le Renard du Bois du Cazier». Parce qu’il osa s’aventurer, pour tenter de sauver ses camarades, dans des boyaux ténébreux où nul autre n’aurait eu l’idée de s’introduire.

Marcel Leroy, par ailleurs colla­borateur occasionnel d’Espace de Libertés, a su capter comme personne la grandeur romanesque et la vérité crue du destin hors normes de cet émigré italien. Galvan lui ouvrit son cœur et son armoire aux souvenirs, deux ans à peine avant de s’en aller, discrètement, «rejoindre ses camarades», vaincu par la silicose – rançon implacable réclamée par la mine à ses courageux conquérants.

À travers lui, l’humanité

Au fil des pages, Leroy trahit, peut-être inconsciemment, à quel point il s’est identifié à Angelo Galvan, retrouvant en lui l’image de son père, mêlant ses souvenirs aux siens dans une catharsis qui, à l’heure des célébrations un brin trop «officielles» de la catastrophe, ramène la mémoire à sa juste dimension humaine. Qu’il en soit remercié. Qu’il soit également remercié d’avoir rendu grâce et honneur à l’ingénieur Alphonse Calicis, seul condamné lors du simulacre de procès qui visait à établir les responsabilités de ce drame historique. Calicis, qui descendit lui aussi dans le puits en feu pour tenter de sauver les improbables survivants, risquant sa peau aux côtés de Galvan et de quelques autres hommes de devoir, mourut de dépit et de chagrin d’avoir été désigné responsable. Comme si la plus grande catastrophe minière de l’histoire du pays devait nécessairement pointer du doigt… le lampiste.