Espace de libertés – Septembre 2016

Travail des enfants: objectif 2030


International
Depuis l’année 2000, le nombre d’enfants en situation de travail a diminué d’un tiers, passant de 246 millions à 168 millions. Pourtant, cela concerne encore un enfant sur dix dans le monde.

Un tournant majeur est intervenu dans la lutte internationale contre le travail des enfants en comparaison avec la situation de 2000, mais l’Organisation internationale du travail (OIT) qui avait fixé à 2016 l’élimination des pires formes de travail des enfants a reporté cet objectif à 2030. Aussi, dans d’importantes régions du monde, le combat est loin d’être gagné.

«Si nous unissons nos efforts, nous pourrons faire en sorte que l’avenir du travail soit un avenir sans travail des enfants», déclarait confiant, le 12 juin, Guy Ryder, directeur général de l’OIT, à l’occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants. Ces enfants se trouvent dans l’agriculture – pour 99 millions d’entre eux–, dans les mines, dans les usines et dans le tourisme, produisant des marchandises et des services consommés par des millions de personnes chaque jour. «Dans les petites entreprises ou exploitations agricoles familiales, les enfants sont très exposés, parce que le revenu des parents est insuffisant ou parce que ce type d’exploitation ne peut pas se permettre de remplacer la main-d’œuvre infantile par des jeunes ou des adultes. Le travail à la pièce augmente lui aussi le risque, les enfants devant souvent aider leurs parents à atteindre leurs quotas et à assurer la subsistance de la famille quand les parents ne perçoivent pas un salaire minimum vital», rappelait encore Guy Ryder.

Le drame de l’Afrique subsaharienne

Pour tout l'or du monde...Si c’est la région d’Asie-Pacifique qui enregistre le plus grand nombre d’enfants travailleurs (presque 78 millions), c’est l’Afrique sub­saharienne qui reste la région avec la plus forte incidence d’enfants mis au travail (59 millions, soit plus de 21%). D’autres régions ne sont pas en reste: 13 millions d’enfants sont astreints au travail en Amérique latine et dans les Caraïbes, tandis qu’ils sont 9,2 millions (8,4%) dans la région du Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (1).

Ces derniers mois, tous les viseurs se sont braqués sur la situation en Afrique subsaharienne, vu la proportion d’enfants au travail deux fois supérieure au reste du monde. Parmi eux, près de 28 millions occupent un travail dangereux. Cela représente un enfant sur dix, une proportion également supérieure aux autres régions du monde. Pour ces enfants, rien n’y fait. Ni les nombreuses révélations et pressions des ONG ni les (timides) engagements pris par les multinationales ces dernières années. Depuis le début des années 2000, de nombreux pays africains ont adopté des législations et ont souscrit à des programmes internationaux afin de lutter contre le travail des enfants. Mais la baisse du nombre et de la proportion d’enfants au travail reste bien moins rapide en Afrique subsaharienne qu’ailleurs.

En janvier dernier, Amnesty International rendait publique une enquête au sujet du travail des enfants dans les mines de cobalt, ce minerai étant essentiel au fonctionnement des smartphones. (2) L’état des lieux était pour le moins édifiant, notamment dans les mines du Katanga, province de la République démocratique du Congo, pays à l’origine de plus de 50% de la production de cobalt mondiale, où 40 000 enfants travaillaient. Le rapport citait les exemples d’enfants au travail dès l’âge de 9 ans, souvent plus de 12 heures par jour, transportant des charges lourdes, sans aucune protection, pour un salaire journalier allant d’un à deux dollars… Tout cela pour extraire un minerai réputé dangereux.

Qui en profite? Le dernier maillon de cette chaîne de production, à savoir les grandes entreprises.

Pas vu, pas pris…

Enfants au travail sur un chantier de démantèlement de navires au Bangladesh sans protection malgré le danger, la chaleur et la présence de produits cancérogènes.Et qui en profite? Le dernier maillon de cette chaîne de production, à savoir les grandes entreprises: Apple, Microsoft, Sony, Samsung… Celles-ci invoquent l’impossibilité de tracer la provenance des matériaux auprès de leurs fournisseurs. Un argument commode qui évite d’assumer ses propres responsabilités, pour des enseignes qui craignent la mauvaise publicité, comme par exemple H&M récemment. L’enseigne de prêt-à-porter a été épinglée par une ONG britannique qui a révélé qu’un des fournisseurs du groupe embauchait illégalement des enfants réfugiés de Syrie dans ses ateliers turcs… Redoutant ce bad buzz, H&M a décidé de rompre tout partenariat avec le fournisseur, communiquant ensuite sur son engagement total dans la lutte contre le travail des enfants…

Pourtant, ces quinze dernières années, les entreprises ont intégré les nombreuses recommandations et réglementations internationales qui leur enjoignent d’obéir à certaines règles, même en l’absence de législation dans les pays où elles interviennent, et de s’enquérir de l’origine de leurs matières premières. Mais les pratiques évoluent lentement. Le 30 mai dernier, lors de la Conférence internationale du travail, les représentants de gouvernements, de syndicats et d’organisations patronales ont ouvert des discussions sur la possibilité pour l’OIT de se doter de nouvelles normes relatives au travail décent dans les chaînes d’approvisionnement du monde entier.

Des règles contraignantes

De son côté, Human Rights Watch appelle à l’adoption de normes internationales qui contraindraient les entreprises à respecter leur devoir de diligence – des mesures visant à assurer que leurs activités sont menées dans le respect des droits humains et ne contribuent pas à des violations des droits de l’homme tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, afin d’empêcher le travail des enfants et autres atteintes aux droits humains. «Lorsque les normes sont volontaires, certaines entreprises les prennent au sérieux, mais d’autres les ignorent purement et simplement, même si la vie et la sécurité des enfants et d’autres travailleurs sont en jeu», dénonçait l’ONG (3), en en appelant aux gouvernements pour imposer aux entreprises des obligations contre le travail des enfants et les violations des droits de l’homme dans le cadre de leurs chaînes d’approvisionnement. Espérons qu’il ne faille pas attendre jusqu’en 2030…

 


(1) «Programme international pour l’abolition du travail des enfants», rapport de l’OIT, 14 juillet 2016.

(2) «Le travail des enfants derrière la production de smartphones et de voitures électriques», Amnesty International, 19 janvier 2016.

(3) «Périls et profits liés au travail des enfants», rapport de Human Rights Watch, 6 juin 2016.