Cent quatre personnes d’horizons divers ont uni leurs efforts pendant dix ans. Et mené à bien le projet «Cré-action de liens en milieu carcéral» initié par ORS-Espace libre.
La prison de Jamioulx, près de Charleroi, s’inscrit dans un paysage boisé. Passés les hauts murs, toute notion de nature et de réalité échappe à la perception. On est dans un autre monde. Comme dans les trente-quatre établissements pénitentiaires qui quadrillent le territoire, abritant quelque onze mille détenus et sept mille agents pénitentiaires: une ville en marge. Avant de gagner le parloir, les visiteurs patientent dans une salle d’attente. Mais, à Jamioulx, au lieu de se retrouver face à des murs foncés, ils sont éblouis par les couleurs d’une fresque longue de six mètres qui éclairent le lieu anxiogène où, chaque jour, des dizaines d’enfants et de femmes s’apprêtent à retrouver un père, un mari, un fils, un frère, un ami. Les éléments de ce puzzle révèlent des mains tendues, des feuilles d’arbre, des silhouettes cernées par la lumière et des visages anonymes.
Ce signe monumental se compose de panneaux de bois peints par une centaine de personnes, à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. Orchestré par l’artiste Jean-Luc Urbain, adepte du street art, le projet a été mené en petits ateliers. Il aura fallu des mois pour le réaliser, avec des détenus, des membres de leurs familles, des agents pénitentiaires, des victimes d’un acte de violence et des personnes du monde psycho-médico-social et judiciaire. Incarnant la société dans sa diversité, ils ont uni leurs efforts pour montrer que la prison doit être reliée au monde pour accomplir sa mission.
Au fond, la fresque citoyenne de la prison de Jamioulx rappelle qu’une loi progressiste, votée en 2005 en Belgique, devrait être appliquée, car elle envisage la réinsertion, la réparation et la réhabilitation, au-delà de la seule privation de liberté.
L’urgence d’une politique
Alors que le printemps 2016 a vu la longue grève des agents pénitentiaires protester contre leurs conditions de travail face à la réduction de leurs effectifs et aux restrictions frappant les prisons, le mouvement s’est éteint à la mi-juin, sans que le dossier de la réforme de la politique pénitentiaire ait avancé. Après des semaines de témoignages sur l’univers carcéral et ses problèmes, le silence est retombé sur les prisons belges où trente pour cent des détenus sont enfermés pour usage et trafic de stupéfiants, où de trop nombreux détenus sont enfermés préventivement et d’autres, privés des activités qui leur permettraient de mieux revenir dans le monde. Sans oublier les personnes internées.
En 2010, la Cour des comptes a publié un rapport actant le manque de vision pour une politique pénitentiaire digne de son temps. Impopulaire en général et particulièrement en période d’austérité, la réinsertion des détenus apparaîtrait presque en ces temps difficiles comme un luxe pour des gens qui en seraient indignes. La section belge de l’Observatoire international des prisons a fait le même constat.
À la lueur de ces faits, le lent cheminement du projet de la fresque citoyenne de Jamioulx est révélateur. Il aura fallu dix années d’efforts bravant le découragement pour créer la fresque, équiper la salle d’attente de jeux pour les enfants et améliorer l’accueil en général.
Une gardienne confiait: «Six cents visiteurs entrent chaque semaine à Jamioulx. Parmi ceux-ci, des enfants impatients de voir leur papa, des épouses épuisées par les problèmes financiers, des gens ne comprenant pas le français ni l’anglais. Il faut les faire entrer, appliquer les consignes de sécurité, les conduire vers les détenus, contrôler la grande salle où l’on tente de communiquer dans le vacarme ambiant. Et les prisonniers sont souvent nerveux, quand une épouse leur montre une facture impossible à payer. À nous de trouver les mots qu’il faut…»
Tout a commencé quand une travailleuse sociale d’ORS-Espace libre, service d’aide sociale aux détenus et à leurs proches (Charleroi), s’est dit qu’améliorer l’accueil des visiteurs serait un acte de justice. Un premier pas. D’où l’idée de «Cré-action de liens en milieu carcéral». L’État étant désargenté, il fut fait appel au soutien de la société civile et, avec l’aide de la prison de Jamioulx et de fonctionnaires convaincus de la pertinence de l’action, l’ASBL Daffofil (émanation de trois clubs Rotary de Charleroi qui unissent leurs moyens pour une action sociale plus efficace) réussit à lancer le chantier et à le terminer.
Projet-pilote
Aussi, début juin de cette année, au plus fort de la crise frappant les prisons, se déroula au palais de justice de Charleroi – dans l’ancien musée du Verre, qui abrite le tribunal du travail du Hainaut–, le vernissage hors les murs de la fresque de la salle d’attente de Jamioulx, sous forme de reproductions photographiques et de textes. Cette exposition devrait voyager, aller vers divers publics, porter le débat.
Gilbert Clément, ex-président et membre de Daffodil, l’architecte qui a conçu à titre bénévole le projet de réorganisation de la salle d’attente, retraça le parcours, qualifiant l’initiative d’ORS-Espace libre de «projet-pilote». Il prouve que l’on peut faire craquer les carcans les plus rigides, avec de la solidarité et de l’imagination.
Ce jour-là, en ce lieu emblématique de la démocratie, des voix s’élevèrent pour dire que les prisons belges devraient échapper aux normes du XIXe siècle. Pourquoi tant de détentions préventives, si peu d’activités permettant aux détenus de se préparer au retour à la ville, et le recul des libérations conditionnelles alors que de nouvelles prisons sont construites? En Belgique, on évite la réflexion de fond alors que dans les pays scandinaves, des alternatives à la prison prouvent leur efficacité.
Quand donc sera constitué le comité d’experts et de membres de la société civile chargé de repenser l’incarcération, pour aider les élus? Ce qui est certain, c’est que ces experts, s’ils devaient un jour se retrouver dans la salle d’attente de Jamioulx, constateraient qu’humaniser la prison reste une possibilité.