Les autorités religieuses ont de tous temps influé sur le caractère licite de l’avortement provoqué. L’étouffante hégémonie exercée par le catholicisme sur les esprits, les institutions et la vie quotidienne s’atténua en Belgique à un rythme accéléré après 1990.
Le vote par le Parlement, cette année-là, d’une loi dépénalisant partiellement l’avortement cristallisa la conscientisation laïque qui se poursuit dans la fraction, largement majoritaire, de la population belge originellement de cette obédience.
Église catholique: «un crime»
Depuis 1869, la doctrine catholique concernant l’avortement n’a pas varié: il est interdit, même en cas de menace pour la vie de la femme. L’Église considère que la vie humaine est sacrée dès la conception.
La séparation du civil et du religieux est réfutée par certains. En 2011, le primat de Belgique, André Léonard, critiquait le Parlement pour s’être arrogé «le droit de décider par vote majoritaire du sens de la sexualité, […], de la qualité des embryons méritant ou non d’être respectés, etc.» À cette époque, Benoît XVI avait réprouvé les lois «qui non seulement permettent, mais parfois même favorisent l’avortement, pour des motifs de convenance ou des raisons médicales discutables [sic!]». En décembre 2015, le nouvel archevêque, Jozef De Kesel, s’était opposé à ce que des interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées dans des hôpitaux du réseau Caritas Catholica, bien que ces derniers soient subsidiés par les pouvoirs publics. Le 18 février 2016, à l’encontre des recommandations de l’ONU, le pape François, traitant du virus Zika qui provoque la microcéphalie et d’autres malformations fœtales, déclarait que «l’avortement n’est pas un mal mineur, [mais] un crime». Ce pince-sans-rire avait ajouté que «Paul VI, pape de 1963 à 1978, avait permis à des religieuses d’utiliser au Congo des contraceptifs parce qu’elles étaient violées par des militaires» mais que «ces cas exceptionnels ne remett[ai]ent pas en cause la doctrine du Vatican, qui a toujours combattu l’avortement et la contraception, sans les mettre au même niveau de faute». Rappelons ici que des religieuses, violées en 1960 par les mutins de la Force publique du Congo, furent avortées dans le service de gynécologie de la Katholieke Universiteit Leuven. Le 25 mai dernier, François, se référant aux «valeurs pérennes humaines et chrétiennes [sic!]» prônait «l’accompagnement du fœtus en tant que patient, même dans les conditions pathologiques les plus extrêmes».
En dépit de la sécularisation en cours, la Belgique connaît à nouveau une confrontation entre partisans de la dépénalisation et opposants. L’Église soutient le mouvement «Un de nous» qui milite pour la reconnaissance des embryons comme personnes humaines. Des organisations appartenant au courant le plus réactionnaire, voire fascisant, de l’idéologie catholique, regroupant beaucoup de jeunes rejetant les idées de mai 1968, et disposant de gros soutiens financiers, tentent de faire revenir l’opinion publique sur son approbation de l’avortement médicalisé. Les «marches pour la vie» à Bruxelles furent suivies de contre-manifestations de défenseurs du libre choix. La plateforme Abortionright! fut créée pour ne pas laisser le champ libre sur Internet aux militants anti-avortement.
Des alliances formelles, entre divers courants religieux, témoignent d’une consolidation du front anti-choix.
Église orthodoxe et Églises réformées: solidarité anti-choix
L’Église orthodoxe, jusqu’alors plutôt tolérante sur ce sujet, reprend le discours sur la contraception et l’avortement de l’Église de Rome. Elle recherche l’alliance avec cette dernière et les Églises protestantes pour défendre des valeurs telles que «la famille, l’éducation des enfants, l’indissolubilité du mariage, la valeur de la vie humaine dès sa conception jusqu’à la mort». Le pape François et le patriarche de Moscou, Kirill, le 12 février 2016, ont affirmé vouloir rapprocher leurs deux Églises pour défendre les «racines chrétiennes» de l’Europe, lutter contre l’avortement et l’euthanasie, défendre le mariage «entre un homme et une femme», et mieux diffuser le «message chrétien». La protection de l’embryon dès la conception, même lorsque la vie de la femme est en danger, constitue une priorité. Les Églises protestantes évangélistes, notamment pentecôtistes, de plus en plus influentes, agissent de même. Des alliances formelles, entre divers courants religieux, témoignent d’une consolidation du front anti-choix.
Judaïsme: pas de «convenance personnelle»
Pour le grand rabbin Albert Guigui, l’éthique juive puise son essence dans les textes du Pentateuque et du Talmud. Dans ce système, les édits religieux dictent la morale. Le respect de la vie humaine est absolu, mais il est accordé plus de valeur à celle de la femme enceinte qu’à l’existence du fœtus. L’avortement constitue une «absurdité», même s’il n’est pas assimilé au meurtre; il n’est autorisé – jusqu’au terme de la grossesse – que si sa poursuite représente un danger pour la vie de la femme. Des raisons économiques, sociales, morales, de nature eugénique ou de «convenance personnelle» ne sauraient être retenues. Pour appuyer ses dires, Guigui ne fait référence qu’à deux phrases de la littérature talmudique (Michna Oholoth VII,6) et à des écrits de Moïse Maïmonide (1135-1204). La complexité de l’interruption de grossesse semble échapper à ce dignitaire religieux qui n’hésite pas à se joindre aux intégristes catholiques opposés à l’avortement légal.
À la croisée des chemins
Alors que vient de naître en Europe le premier enfant microcéphale suite à une infection intra-utérine par le virus Zika, le continent vit sous la menace d’un retour du religieux et des conservatismes. Le débat autour de l’IVG s’est ravivé. En Hongrie et en Pologne, l’accès à cette intervention a été sévèrement limité par les gouvernements ultraconservateurs en place. En France et au Luxembourg, par contre, l’IVG, en tant que matière relevant de la santé publique, est totalement dépénalisée depuis peu. Notre pays est à la croisée des chemins. Des groupements «pour la vie», très actifs ces dernières années, ont bénéficié du soutien de notables religieux comme Mgr Léonard, l’iman Mustapha Kastit et le grand rabbin Guigui. Des groupes apparentés ont instigué le dépôt de propositions de loi visant à humaniser le deuil des couples confrontés à la perte d’une grossesse, pleinement conscients que pareilles modifications pourraient remettre en cause nombre d’IVG. Le CAL et l’UVV s’emploient à convaincre les parlementaires de sortir l’avortement du Code pénal. Ce combat, décisif pour les droits des femmes et pour la laïcité, doit être gagné.