Rendez-vous désormais attendu, la publication du dernier rapport annuel de l’Observatoire des religions et de la laïcité (ORELA-ULB) a eu lieu en mai dernier: un incomparable point de repère sur l’évolution du paysage convictionnel en Belgique.
Rédigé par une petite équipe du Centre interdisciplinaire d’étude des religions et de la Laïcité (CIERL) dirigée par le professeur Jean-Philippe Schreiber, le rapport annuel de ORELA en est à sa quatrième édition.
Les attentats et leurs répercussions sur l’islam
Les attentats de Paris resteront les faits les plus emblématiques de 2015
Sans surprise, les attentats de Paris (Charlie Hebdo et supérette Hyper Cacher en janvier, Bataclan et autres lieux publics en novembre) resteront les faits les plus emblématiques de 2015. Mais, comme le souligne le rapport, ils se placent dans une continuité (Musée juif de Bruxelles, mai 2014) dont, malheureusement, nous savons aujourd’hui que les effets se prolongent en 2016 et probablement au-delà. L’islam reste donc au cœur des préoccupations et ORELA remarque d’ailleurs que les médias s’y intéressent toujours plus, rarement de manière nuancée et documentée, le plus souvent pour en exploiter les côtés les plus polémiques; ce qui n’est évidemment pas surprenant.
Des cours dits philosophiques à l’EPA
Mais l’autre événement marquant de l’année 2015 – pour ce qui regarde la Belgique francophone – reste évidemment celui du coup de théâtre constitué par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars et la réforme des cours de religion et de morale non confessionnelle qu’il a provoquée. Cependant, le rapport rappelle fort à propos que ce projet était inscrit dans l’Accord de gouvernement de 2014. La Justice a donc obligé les autorités à sortir en catastrophe une réforme jugée bancale par beaucoup et qui a d’ailleurs aussitôt été attaquée de toutes parts. Mis en œuvre dès la rentrée de septembre 2015, l’EPA (encadrement pédagogique alternatif) a pourtant rencontré un succès très mitigé puisqu’en Wallonie, il n’a rassemblé qu’entre 2,5 et 3% des élèves des écoles officielles et à peine plus du double à Bruxelles. Autre différence entre les deux pôles de la Fédération Wallonie-Bruxelles: c’est le cours de religion islamique qui est massivement le plus suivi à Bruxelles avec des taux de fréquentation oscillant entre 46 et 48% (en légère augmentation), loin devant le cours de morale (entre 20 et 29%, en recul net) et la religion catholique (entre 12 et 18%, en recul net également). Le choix de l’EPA se fait donc clairement au détriment des cours de morale et de religion catholique sans que, soulignent les auteurs du rapport, il soit possible de déterminer s’il s’agit d’une désaffection à l’égard des idées défendues par ces deux courants ou bien d’un acte de protestation antisystème.
Toujours selon ORELA, l’éternelle problématique des relations entre pouvoirs publics et les différentes sphères religieuses et convictionnelles a encore connu des développements significatifs.
Financement des cultes et de la laïcité: une répartition toujours inégalitaire
Tout d’abord, le budget fédéral alloué aux traitements et subsides des ministres des cultes et des délégués laïques ainsi que les subventions à l’Exécutif des musulmans, au Conseil central laïque et à l’Union bouddhique ont baissé de 5%. Cette diminution est conforme aux économies imposées à tous les départements fédéraux. Cependant, les grands équilibres changent peu: bien que s’adjugeant toujours la part du lion, le culte catholique continue de se tasser un peu. Même tendance pour les cultes anglican et israélite qui, quant à eux, reçoivent des moyens très modestes. Le culte orthodoxe et la laïcité sont quasiment au statu quo, tandis que les cultes protestant-évangélique et islamique connaissent une légère augmentation. Il reste que le culte catholique et le monde laïque se partagent toujours près de 90 % du financement public. Toujours selon les auteurs du rapport, cette répartition ne correspond pas exactement à la réalité des identités convictionnelles déclarées. En effet, alors que les musulmans sont estimés à 6 à 7% de la population, le culte islamique ne reçoit que 2,2% des fonds alloués aux traitements. Un décalage qui, souligne encore ORELA, est sans doute appelé à se résorber dans le futur.
Former et encadrer l’islam de Belgique
Ce sujet renvoie d’ailleurs à d’autres «chantiers d’Hercule» que constituent, d’une part, la question de la tutelle et du financement des cultes par les autorités locales et régionales wallonnes et, d’autre part, la volonté politique du gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, exprimée notamment dans les travaux de la commission Marcourt, de s’impliquer dans l’organisation du culte islamique, en particulier au niveau de la formation des cadres. Une nécessité encore illustrée par l’affaire Mahi, du nom d’un professeur de religion islamique bruxellois, d’abord suspendu, puis simplement déplacé, en raison de son attitude équivoque après les attentats de Paris de janvier 2015.
Les pommes de la discorde
Le rapport ORELA 2015 fait encore le point sur bien d’autres sujets cruciaux qui constituent les lignes de front de nombreuses dissensions philosophiques de fond. L’ensemble des problématiques bioéthiques telles que l’euthanasie, l’avortement, l’enregistrement et la sépulture des fœtus ou encore la gestation pour autrui en sont les exemples les plus frappants. L’année 2015 a d’ailleurs été marquée par le 25e anniversaire de la loi de dépénalisation de l’IVG. Alors même que dans différents pays européens une régression se dessine, la volonté des milieux laïques belges est de sortir l’avortement du Code pénal. Pour l’instant, l’idée se heurte de plein fouet au non possumus du CD&V mais la question pourrait bien connaître d’autres développements.
Aujourd’hui indispensable, le rapport annuel produit par ORELA permet de comprendre les données essentielles du paysage convictionnel belge et, jusqu’à un certain point, international. Factuel, complet, non partisan, il représente pour les décideurs, les professionnels et même, tout simplement, les citoyens soucieux de comprendre la situation, une porte d’entrée commode dans un univers qui est par nature complexe, émotionnel et mouvant. À tel point qu’on peut se demander comment l’on faisait avant? Eh bien, justement, on pataugeait dans l’incompréhension, le manque de perspective et la désinformation. Si l’équipe d’ORELA mérite un coup de chapeau, c’est bien pour cela: en mettant un peu d’ordre dans l’univers enchanté des convictions, elle nous donne enfin une chance d’y voir plus clair et d’agir mieux.