Un aparté avec Dominique Roynet
Militante de la première heure aux côtés de son professeur Willy Peers, Dominique Roynet pratique des avortements dans des centres extra-hospitaliers à Schaerbeek et Rochefort. Depuis dix ans, cette femme médecin généraliste, chargée de cours à l’ULB, tire la sonnette d’alarme: si on ne forme pas les jeunes, c’est l’existence même du droit à l’avortement qui est mise à mal. Son appel semble avoir été entendu…
Entre trois et quatre par an: c’est le nombre de jeunes médecins généralistes qui sortent chaque année de la formation en pratique de l’IVG en centre extra-hospitalier organisée par l’ULB, en collaboration avec le GACEHPA. Une petite victoire pour Dominique Roynet: «Il y a 10 ans, la majorité des 95 médecins généralistes qui pratiquaient des avortements en centres extra-hospitaliers – 80% des IVG – arrivaient en fin de carrière. Tout doucement, la moyenne d’âge commence à diminuer.» Et ça se ressent sur le terrain. Depuis quelques mois par exemple, les femmes peuvent à nouveau avorter en province du Luxembourg. Après la fermeture du centre de Bastogne en 2013 et trois ans de recherche infructueuse d’une relève, le centre de planning familial d’Arlon a réussi à recruter deux jeunes médecins formées à la pratique de l’IVG. Un bémol néanmoins dans cette légère embellie: l’ULB reste la seule université du pays à organiser cette formation spécifique. En Flandre, la pénurie risque donc de persister.
Désintérêt du monde médical
Même si la relève arrive progressivement, Dominique Roynet pointe un problème structurel de taille: le manque de militantisme, d’engagement et d’intérêt pour le politique qui traverse toute la jeune génération, qu’ils soient médecins, journalistes ou professeurs. Mais pas question pour elle de blâmer uniquement cette jeunesse! «Il n’y a pas que les jeunes qui sont cons. Les vieux sont cons aussi de ne pas stimuler les jeunes et de ne pas les emmener dans de chouettes combats. Croyez-moi, il ne faut pas les tirer beaucoup. Les jeunes médecins restent ouverts à un engagement quand on leur propose… mais il faut leur proposer. Les maîtres actuellement ne sont plus les maîtres politiques que nous, nous avons eus dans les années 70. Nos maîtres pensaient, ils avaient une opinion politique et ils la disaient. On pouvait être d’accord ou pas d’accord, mais au moins on réfléchissait.»
Elle qui n’a jamais envisagé la médecine autrement que sociale, à l’écoute du patient et de ses demandes, regrette le désintérêt croissant du monde académique médical pour les questions de santé sexuelle et reproductive. «Depuis une vingtaine d’années, les médecins gynécologues ont centré leur intérêt et leurs recherches (comme dans beaucoup d’autres domaines de la médecine) sur une médecine beaucoup plus technologique, une médecine de performance, d’imagerie. Ils ont perdu un intérêt pour la santé sexuelle et reproductive des femmes au sens large. Il n’y a pas de recherche sur la contraception par exemple dans les universités, on laisse ça aux firmes pharmaceutiques. Quant aux gynécologues, ils ne reçoivent aucune formation spécifique à l’avortement. Bien sûr, ils savent faire des curetages. Mais un curetage et un avortement, même si c’est la même technique, ce n’est quand même pas tout à fait le même contexte.»
À ce manque de conscientisation de la profession viennent s’ajouter les clauses de conscience, en grande partie institutionnelles, qui réduisent encore le nombre de médecins pratiquant l’avortement. Légalement, la clause de conscience ne peut être invoquée qu’au niveau personnel, mais beaucoup d’institutions hospitalières interdisent en toute impunité à leurs médecins de pratiquer des avortements. «Je ne compte plus les femmes qui sont envoyées chez moi par des confrères ou consoeurs gynécologues. Bien sûr, ils pourraient pratiquer ces avortements eux-mêmes, beaucoup souhaiteraient le faire parce qu’ils connaissent la patiente et la suivent depuis longtemps. Mais ce n’est pas autorisé dans leur institution…»
Positiver l’avortement
Dans la formation à la pratique de l’IVG organisée en trois ans à l’ULB, les médecins généralistes apprennent à maîtriser les techniques médicales, bien sûr, mais aussi à écouter les patientes, sans jamais les juger. «Vingt-cinq ans après la dépénalisation partielle, les femmes vivent toujours l’avortement de façon honteuse et culpabilisante. Aujourd’hui, dans l’esprit du public, un avortement, ça reste “pas bien”. Le regard que la société porte sur les femmes en fait quelque chose de difficile à vivre pour elles.»
Or, de ses années de combat pour la dépénalisation de l’IVG et d’expérience aux côtés de ses patientes, Dominique Roynet retire une chose: l’avortement, dans la grande majorité des cas, est positif. «On parle toujours de l’avortement comme d’un échec, de quelque chose de négatif. Mais il y a plein d’avortements qui sont des étapes positives dans l’histoire des femmes, parce qu’à un moment donné, une femme a décidé de se libérer d’une contrainte parentale, d’une contrainte maritale, d’une exigence quelconque. Elle a décidé de dire non à sa mère, non à son mari, non à tel ou tel homme. Elle a décidé de faire un choix et de poser un acte libre. Et puis, un avortement, ça arrive à qui? À des femmes jeunes, en bonne santé, qui sont désirables et sexuellement actives. Puis qui ont un problème de parcours. Mais qui sont fécondes. Ce n’est quand même que des bonnes nouvelles. Il faut changer le discours et arrêter avec ce misérabilisme et cette dramatisation. L’avortement, c’est une étape dans l’histoire de la fécondité de la femme. Ni plus ni moins.»
Sortir l’IVG du Code pénal: indispensable!
Si la sortie de l’IVG du Code pénal est à ce point indispensable pour elle, c’est aussi parce qu’elle va participer à cette dédramatisation. «Ce n’est pas la même chose de dire: c’est interdit, sauf si. Que de dire: c’est autorisé, sous certaines conditions.» Éternelle optimiste, Dominique Roynet y croit. À condition d’agir maintenant, car les anti-choix sont en embuscade, prêts à flirter sur n’importe quelle nouvelle mode pour distiller leur discours nauséabond. Preuve en est le site www.sauvezpikachu.com surfant sur la vague du jeu PokemonGo pour instrumentaliser les jeunes filles. «Les femmes, elles ont lu tous ces sites anti-IVG avant de venir nous voir dans les plannings, ces sites qui racontent des horreurs. Et ça fait des dégâts.»