Le corps des femmes… Chaque été, il fait l’objet d’une attention éditoriale particulière entre les conseils «plage et soleil» d’une certaine presse féminine et les articles qui entraînent invariablement le lecteur vers une explication plus ou moins réussie du plaisir féminin. En cette rentrée 2016, parlons encore du corps des femmes. Ou plutôt, parlons de la liberté des femmes à disposer de leur corps, et plus précisément de ce droit à l’avortement qui ne vient toujours pas.
En Europe mais aussi en Belgique, le corps des femmes reste un enjeu politique, un terrain de lutte entre ceux qui lui reconnaissent une dignité propre et ceux qui, sous prétexte de protéger «la vie», tentent de lui imposer des vues d’un autre âge. Au sein de l’Union européenne, la situation reste très inégale en matière de droit à l’avortement.
Vous avez dit progressiste?
Si l’on compare la situation actuelle en Belgique à celle – dramatique – de Malte, d’Irlande, d’Italie ou de Pologne, il est très facile de constater l’étendue de nos droits et de croire à la pérennité de nos acquis. Et pourtant. Malgré la dépénalisation partielle de l’IVG en 1990, la Belgique n’en a pas fini avec la culpabilisation et la stigmatisation des femmes qui avortent. L’avortement est en effet toujours inscrit dans le Code pénal comme «crime contre l’ordre des familles et la morale publique», ce qui est particulièrement anachronique et ignorant de ce que l’avortement est réellement: une question de choix et un acte de santé publique.
Grâce à ses positions en matière d’égalité des droits, la Belgique a longtemps figuré en tête des pays progressistes. À l’heure où les attaques des conservateurs de tout poil se multiplient en Europe, il est urgent pour la Belgique de se distinguer à nouveau en faisant de l’avortement un véritable droit et pas seulement une concession faite aux femmes «en situation de détresse».
Quand les voisins montrent l’exemple
Deux États voisins ont ouvert la voie. En France, la loi Vallaud-Belkacem du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a renforcé le droit à l’IVG en supprimant la condition de «détresse avérée» exigée par la loi de 1975 et en sanctionnant toute entrave à l’information sur l’IVG. Cet amendement a ouvert l’avortement non plus seulement aux femmes enceintes «que leur état place en situation de détresse», mais bien à toute femme «qui ne veut pas poursuivre une grossesse». En novembre 2014, quarante ans après l’ouverture des débats parlementaires à l’initiative de Simone Veil, l’Assemblée nationale française a également voté une résolution réaffirmant «l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les femmes, en France, en Europe et dans le monde». C’est une avancée symbolique majeure qui modifie la perception de l’acte mais également celle de la femme qui y a recours: celle-ci n’est plus nécessairement une victime qu’il convient d’assister mais bien une personne autonome et décisionnaire capable de poser un choix.
Récemment, le Luxembourg a également avancé vers une meilleure reconnaissance du droit à l’avortement par trois évolutions majeures: en supprimant, comme la France, la notion de détresse auparavant nécessaire pour justifier l’acte, mais également en rendant facultative la deuxième consultation psychosociale pour la femme majeure qui n’a, en outre, plus besoin de confirmer par écrit sa détermination à avorter.
Pourquoi l’avortement doit devenir un droit
Reconnaître l’avortement comme un droit, c’est symboliquement rendre aux femmes la liberté de décider par elles-mêmes de la manière de disposer de leur corps et de gérer leur vie. C’est arrêter de les infantiliser pour les rendre maîtresses d’un choix intime souvent difficile à prendre. C’est aussi la seule manière de se prémunir contre les attaques toujours plus virulentes des organisations antichoix qui, à l’instar de leurs homologues américaines, cherchent maintenant moins à interdire officiellement l’IVG qu’à en restreindre les conditions d’accès là où il est encore possible.
En Europe, cette stratégie de «multiplication des obstacles» progresse dans de nombreux pays: intimidation des femmes devant les cliniques qui pratiquent l’avortement (au Royaume-Uni et en Belgique par exemple); campagnes de désinformation sur l’avortement et ses conséquences par des groupes antichoix (comme en France (1)) ou par le gouvernement (comme en Hongrie (2)), poursuites judiciaires pour celles qui avortent «illégalement» (en Irland du Nord par exemple); encouragement des médecins à refuser de pratiquer l’IVG et à devenir «objecteur de conscience» (comme en Italie (3)); adoption de dispositions légales restrictives (en Espagne par exemple (4)), déremboursement partiel de l’IVG (comme au Portugal), etc. La liste est longue.
Mais dans ces pays également, de nombreuses organisations et activistes se battent pour protéger les acquis ou étendre les droits. Au Royaume-Uni, une vingtaine d’associations demandent depuis le début de l’année la dépénalisation totale de l’avortement, qui reste actuellement passible d’une peine de prison à vie lorsqu’il est réalisé hors des conditions définies par l’Abortion Act de 1967 (accord nécessaire de deux médecins). En Irlande, où l’interdiction de l’avortement est encore la règle et l’autorisation l’exception, la comédienne Gráinne Maguire a décidé d’utiliser l’humour pour dénoncer une législation rétrograde et humiliante. Depuis plusieurs jours, de nombreuses Irlandaises tweetent les détails de leur cycle menstruel à l’attention du Premier ministre, visiblement inquiet de contrôler l’appareil reproductif de ses citoyennes.
Aux côtés de ces infatigables activistes, nous demandons au gouvernement belge de montrer l’exemple en donnant définitivement aux femmes ce droit qui, tout comme leur corps, leur appartient.
(1) Voir par exemple la campagne antichoix «SOS Femmes enceintes» qui se présente comme un service d’écoute neutre mais selon laquelle l’avortement favorise pêle-mêle: l’apparition de cancers divers, la maltraitance des enfants, les idées suicidaires, la confusion identitaire et même la mort par homicide!
(2) En 2011, le gouvernement hongrois a lancé une vaste campagne contre l’avortement dans le métro à Budapest, avec une partie des fonds alloués par les programmes européens.
(3) Près de 80 % des médecins et gynécologues italiens refusent de pratiquer l’IVG, ce qui pose de graves difficultés d’accès en pratique.
(4) En Espagne, le consentement parental est obligatoire pour les mineures depuis 2015.