Espace de libertés – Septembre 2016

Maîtrise de soi et magnanimité


Coup de pholie

Le grand stratège Périclès avait une parfaite maîtrise de soi (les Grecs avaient un mot pour ça: egkrateia). Insulté durant toute une journée par un adversaire politique qui le suivait dans chacune de ses démarches, il s’abstint de répondre, poursuivant ses affaires. La nuit venue, le personnage pris de boisson le poursuivit jusqu’à la porte de sa demeure pour l’insulter. Le stratège ordonna à ses serviteurs de raccompagner l’insulteur jusque chez lui. Maîtrise de soi et magnanimité vont souvent de pair.

Auteur de mille excentricités, Diogène le cynique ne sortait de son tonneau que pour se moquer des conventions sociales et des certitudes de ses contemporains. Un jour, Alexandre le Grand se présenta et lui promit d’exaucer son vœu, quel qu’il fût. Le philosophe «aux mœurs de chien», au lieu de profiter de l’aubaine, pria simplement Alexandre de se retirer de son soleil. Admiratif, le conquérant s’exécuta. Gageons que jamais il n’oublia cette leçon de philosophie canine. L’amour de la sagesse est grec, l’étymologie le prouve. Mais il est aussi oriental, personne ne l’ignore. Ainsi, plus tard sur les routes de l’Inde, Alexandre croisa un gymnosophiste, un «sage nu», ancêtre des actuels sâdhus et autres jaïns «vêtus d’air». Les éclaireurs du roi ordonnèrent au sage de dégager la voie pour laisser passer l’armée macédonienne. Celui-ci refusa de bouger car sa méditation n’était pas terminée. L’homme regarda Alexandre dans les yeux et dit:

– «Ô grand roi, tu peux me tuer, tu peux faire de moi ce que tu veux, mais il est une chose que tu ne peux faire.
 – Quoi donc?, s’enquit Alexandre.
Me faire peur», répondit l’ascète qui replongea dans sa méditation. Le roi ordonna à ses troupes de contourner le sage sans lui faire le moindre mal. L’armée en marche rendit ainsi hommage à la sagesse orientale.

En réalité, la sagesse n’a pas de frontières. Un proverbe bantou, une maxime chinoise, un dicton amérindien, une pensée athée, un aphorisme talmudique, un koan zen ou une parabole évangélique nous le confirmeraient. Un dernier exemple quand même? Le Prophète Mahomet, celui dont se réclament aujourd’hui les fanatiques aveuglés par la haine, empruntait chaque jour une rue de La Mecque où une femme qui ne l’aimait pas jetait chaque fois des ordures sur son passage. Un matin, rien, pas d’insulte, pas de déchet. Que pensez-vous que fit le Prophète? Se réjouir? Espérer être débarrassé de cette mégère? Que non: il alla s’enquérir de la santé de son ennemie.

O mores, o tempora! Notre époque asphyxiée n’aurait-elle pas besoin d’un grand bol de magnanimité?