Espace de libertés – Septembre 2016

Les stratégies de communication des anti-choix


Dossier
Ceux qui s’opposent au droit des femmes à décider de leur corps et d’elles-mêmes pratiquent différentes stratégies pour parvenir à leurs fins: imposer une grossesse non désirée en donnant plus de valeur à un amas de cellules qu’à la vie d’une femme.

Pour ce faire, ceux qui prétendent défendre la vie tentent d’instaurer des lois contournant le droit à l’avortement et pratiquent la désinformation en se faisant passer pour des scientifiques, voire des pro-choix. Ayant compris qu’une confrontation directe engendrerait sans doute une vive réaction de la population, les anti-choix agissent par des voies qui leur semblent plus subtiles. Récemment, les propositions du CD&V sur l’octroi d’un statut pour l’embryon ont provoqué un tollé justifié, même si la partie n’est pas encore gagnée. L’extrême droite aussi s’exerce au contournement législatif, comme en 2010 quand la Vlaams Belang Alexandra Colen dépose une proposition de loi inversant la procédure de recours à la clause de conscience: ce ne serait plus le refus de pratiquer une IVG qui devrait être explicitement signalé par le personnel médical, mais le consentement du praticien qui serait exigé par écrit et à chaque IVG (1)! Il est aisé de voir où cela mènerait…

Les anti-choix n’hésitent plus à agir directement auprès des femmes, par des manœuvres de culpabilisation.

Honte aux salopes

Dans l’espace public, les anti-choix n’hésitent plus à agir directement auprès des femmes, par des manœuvres de désinformation et de culpabilisation. Aujourd’hui, on trouve sur le web des sites comme afterbaiz.com qui, sous ses airs décontractés, pratique le slut-shaming (honte aux «salopes») (2). Ce site est, de fait, une initiative d’Émile Duport, militant actif contre le droit à l’IVG et porte-parole du mouvement Les survivants, dont les membres s’identifient à des rescapés de l’avortement… Non contente de son clip officiel «C’est quoi l’histoire» mis en ligne le 20 juin dernier, cette mouvance vient de lancer un nouveau site mobile qui propose aux jeunes de «Sauver Pikachu», entendez sauver «l’œuf» qu’une vilaine fille enceinte veut tuer dans son ventre (3)…

Si cette stratégie n’étonne pas de la part d’un groupe directement lié à l’organisation française La manif pour tous, la Belgique n’est pas en reste. Alternatives, une association chrétienne comme son nom ne l’indique pas, s’est fait passer pour un planning familial, allant jusqu’à faire de la publicité dans le métro pour entrer en contact avec des femmes enceintes en situation de crise en leur proposant ainsi des tests de grossesse gratuits, avant de les culpabiliser pour les dissuader d’avorter. Idem en Flandre en mars dernier, quand Jongeren Info Life a mené une campagne dans les trams, les cafés et les cinémas, «Ik ben zwanger, wat nu?» («Je suis enceinte, et maintenant?»), renvoyant à leur site web et à un numéro d’appel où les répondants découragent systématiquement le recours à l’IVG et effrayent les jeunes filles en évoquant de soi-disant graves séquelles médicales, émotionnelles et psychologiques (4).

La Fondation Lejeune, le faux nez de l’extrémisme réactionnaire

La fondation Jérôme Lejeune est l’un des bras les plus puissants et les plus fortunés de cette mouvance réactionnaire. Si feu le Pr Lejeune était un généticien de renom, découvreur du gène responsable de la trisomie 21, son message et celui de ses successeurs tire à boulets rouges sur les femmes et les défenseurs de la planification familiale, déclarant sans rire que la «période prénatale est devenue l’une des plus dangereuses au cours de la vie (5)». Jouant sur l’émotion et la culpabilisation, la mise en ligne de très nombreuses photos d’enfants trisomiques poursuit un seul objectif: assimiler l’avortement à un crime, à un meurtre. Organisant des auditions au Conseil d’État, à l’Assemblée nationale ou encore au Sénat, la Fondation Lejeune est active au plus haut niveau. Le fait que la fille du professeur Jérôme Lejeune soit l’épouse d’Hervé Gaymard, bras droit du candidat à la présidentielle de 2017 d’Alain Juppé, démontre à quel point ces anti-choix sont actifs et influents, également dans l’éducation, via la diffusion de manuels de bioéthique, véritables outils de désinformation (6).

La face cachée de l’Institut européen de bioéthique

Leur stra­tégie consiste à jouer sur la peur, la désinformation et la manipulation d’éléments scientifiques.

En Belgique, leur pendant a choisi un titre ronflant et fallacieux. L’Institut européen de bioéthique (IEB) affirme dans sa charte «apporter une information fiable et susciter une réflexion la plus large possible», mais répand exactement les mêmes thèses que la Fondation Lejeune. En vue de surveiller les avancées biomédicales ainsi que la législation qui les accompagne, l’IEB organise colloques, conférences, formations, conférences de presse, actions de lobbying; le tout superbement mis en ligne sur un site web digne d’une institution internationale. Les fiches didactiques soutiennent que «l’avortement provoqué est la suppression volontaire de la vie de l’embryon ou du fœtus», sans aucune distinction entre l’IVG et l’interruption médicale de grossesse, par exemple. Non content de prétendre que l’avortement par aspiration est pratiqué sur un fœtus «préalablement démembré», l’IEB présente le stérilet comme une méthode d’avortement qu’il définit comme «un dispositif placé dans la cavité utérine provoquant un avortement très précoce»! Les thèses de l’IEB sont la copie conforme de celles du Pr Lejeune: «Le fœtus ne diffère du bébé que par son stade de croissance»; «L’embryon dispose de la totalité de son patrimoine génétique». La conclusion prend la forme d’une sentence finale: «Le droit de la femme à supprimer son enfant serait-il plus fort que le droit de l’enfant à vivre? (7

Dans ce combat d’arrière-garde, l’IEB «peut compter sur l’expertise du comité scientifique dont les membres émanent de différentes universités belges et étrangères». On y trouve Jean-Marie Le Mené, qui n’est autre que le président de la Fondation Jérôme Lejeune (8). Malgré leurs blouses blanches et leurs titres honorifiques (9), ce sont souvent des militants d’un certain âge, majoritairement actifs dans des groupes comme Euthanasie Stop (10), La marche pour la vie ou Action pour la famille, ce qui n’empêche pas des liens évidents avec certains diocèses et autres officines religieuses (11). Citons pour terminer, au sein de l’IEB, Philippe Anthonioz, professeur d’histologie, d’embryologie et de cytogénétique des facultés de médecine à Tours, président de l’association Magnificat; un de ses projets a été encouragé par le pape Jean-Paul II afin de «contribuer à la défense de la vie humaine, de la conception à la mort naturelle (12)».

Si les organisations anti-choix d’obédience religieuse avancent le plus souvent masquées, leur stra­tégie consiste à jouer sur la peur, la désinformation et la manipulation d’éléments scientifiques. Aujourd’hui, ce cocktail délétère a malheureusement un certain impact, notamment auprès d’une population jeune et peu informée, surtout celle qui picore sur les réseaux sociaux les éléments de sa vision du monde et qui est très sensible à l’émotion superficielle.

 


(1) DOC 53 0881/001, Proposition de loi modifiant le Code pénal en matière d’avortement, 2e sess., 53e lég., Belgique, 22 décembre 2010.

(2) Esther, «Afterbaiz, le site anti-IVG déguisé qui cherche à vous baiser», mis en ligne sur www.mademoizelle.com, le 19 juillet 2016.

(3) Pikachu a depuis pris sa revanche: http://revanchedepikachu.toile-libre.org, NDLR.

(4) Femke Van Garderen, «“Ik ben zwanger, wat nu?: omstreden anti-abortuscampagne rolt zich uit», dans De Morgen, le 18 février 2016 et mis en ligne sur www.demorgen.be.

(5) «Le commencement de la vie», sur www.fondationlejeune.org.

(6) Fondation Jérôme Lejeune (éd.), A student’s guide to bioethics, Philadelphie, Jérôme Lejeune Foundation, 2012.

(7) «L’avortement provoqué», fiche didactique n°7, mise en ligne sur www.ieb-eib.org, le 6 décembre 2012.

(8) Jean-Marine Le Méné, «Ne sacralisons pas la désacralisation de la vie!», tribune parue dans Le Figaro et mise en ligne sur www.fondationlejeune.org, le 26 novembre 2014.

(9) Michel Ghins et alii, «Euthanasie, on s’expose à de dangereuses dérives», carte blanche parue dans Le Soir, 7 décembre 2004, p. 17.

(10) Éléonore Delwaide, «Raisonne-t-on de la même façon à 20 ans qu’à 60?», mis en ligne sur www.euthanasiestop.be, le 17 avril 2013.

(11) Ainsi trouve-t-on Pierre-Olivier Arduin sur www.diocese-frejus-toulon.com.

(12) «Magnificat. Accueillir la vie», sur http://pastoralefamiliale.free.