Espace de libertés – Septembre 2016

Il est des avancées qu’on pense irréversibles: on se dit que l’ouverture d’un droit, que la reconnaissance d’une légitime liberté ne pourra pas, ne pourra plus subir les revers de l’obscurantisme idéologique, du carcan d’une certaine morale, d’une conception particulière qui prétend pouvoir légitimement s’imposer à tous.

Voici quelque 26 ans que la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse a été votée en Belgique. Contrairement aux idées psalmodiées par ses opposants, de nombreux mythes ont été battus en brèche. Eh non, depuis la loi votée en 1990, le nombre d’avortements n’a pas connu de progression. Il n’est pas davantage exact que les avortements concernent surtout les jeunes filles, pas plus que l’avortement rendrait infertile, perturberait la santé mentale ou provoquerait le cancer du sein, voire alimenterait le commerce d’organes.

La clause de conscience, frein à l’accès à l’IVG

Les vrais problèmes qui viennent s’opposer à la libre et sereine application de la loi sont la pénurie des praticiens pratiquant l’avortement et l’usage excessif, abusif de la clause de conscience. Comme le précise Jean-Jacques Amy (lire son article en pages 52-55): «La clause de conscience est digne de respect pour autant qu’elle soit invoquée sur base d’une réflexion morale sérieuse. Le refus de pratiquer un avortement chez une femme en situation de détresse, de plus en plus fréquent, représente une menace pour la santé publique. Si, à première vue, il y a conflit entre les droits de la femme et ceux de certains membres du personnel soignant, en réalité l’attitude de ces derniers découle d’un manque de formation, tant civique que médicale. Un meilleur encadrement devrait pouvoir y remédier.»

Les effets pervers sur les droits des femmes prennent des proportions inquiétantes dans certains pays comme en Italie où on estime à près de 80% les gynécologues qui refusent, sous le couvert de la clause de conscience, de pratiquer un avortement. Et les menaces sur le droit à l’avortement en Europe sont loin de se réduire à un cas isolé. En Espagne, on a frôlé de peu, en 2014, une marche arrière significative. Le gouvernement polonais veut l’interdire totalement tandis que les lois de Malte, de l’Irlande et de Chypre sont des plus restrictives. En Hongrie, la nouvelle Constitution protège l’embryon dès la con­ception; dès lors, malgré la loi de dépénalisation, il est impossible pour les femmes d’obtenir une IVG.

Tout cela pourrait, à première vue, paraître surprenant, mais c’est sans compter sur la montée en puissance des discours extrêmes, extrémistes, caricaturaux qui se poussent du coude au sein des sociétés qui pourtant se sécularisent. C’est peut-être pour cela que les ultras donnent de la voix, exercent des pressions, recourent à des propos-chocs, des images choquantes en mélangeant allègrement stigma­tisation confessionnelle, affirmations pseudo-scientifiques, culpabilisation, invoquant la loi naturelle au mépris des libertés fondamentales.

Un combat laïque de longue haleine

C’est contre les poussées de dogmatisation, cette volonté d’imposer des règles choisies ou exploitées par d’aucuns à l’ensemble des citoyens, que le CAL se mobilise et s’est toujours mobilisé. Son combat en faveur du libre choix des femmes est un combat laïque par excellence, en ce sens qu’il revendique de façon claire les valeurs essentielles de la laïcité que sont l’émancipation, le libre-choix de la personne sur son corps et les conditions de son existence, la responsabilité individuelle et celle du couple, l’égalité des femmes et des hommes, le respect de l’intégrité physique et psychique, la liberté sexuelle et le droit au plaisir. Les débats relatifs à l’avortement n’ont pas connu de trêve estivale. Plusieurs partis ont ou sont prêts à déposer des propositions sur la table, notamment pour porter la période autorisée pour l’avortement de 12 à 20 semaines, comme c’est le cas aux Pays-Bas. D’autres propositions visent la sortie de l’avortement du Code pénal.

Il est en effet grand temps que l’avortement quitte son statut au regard du droit de «crime contre l’ordre des familles et la morale publique» et sorte de l’antichambre du crime pour trouver une juste place, celle d’un acte médical pour lequel on se soucie du respect des personnes, de la santé physique et morale des patientes et de mettre toutes les chances du côté de la vie choisie et responsable. Ces propositions ont peu de chance de faire l’unanimité de la majorité fédérale actuelle.

La sortie du Code pénal, une nécessité

Comme dans divers domaines éthiques, on est passé du combat pour accroître les libertés à la vigilance pour que celles-ci ne régressent pas, à la défense des acquis menacés par les idéologies réactionnaires et intégristes. Au nom d’un ordre moral suranné et hypocrite, on présente comme modèle d’avenir un schéma conservateur, inégalitaire et castrateur. La culpabilisation, l’expiation des fautes, l’orthodoxie morale deviennent des leviers pour contraindre des personnes à un conformisme moral qui va à l’encontre des principes d’ouverture, d’égalité, de fraternité et de liberté, dans l’ordre ou le désordre. L’égalité implique de répondre de manière sanitaire à des situations identiques et non d’imposer une réponse unique à des situations différentes au nom de la conformité morale, de l’imposition convictionnelle.

Cette reconnaissance du droit à l’avortement a été sanctionnée au niveau des instances internationales en termes clairs et précis pour l’ONU «les droits de la femme incluent le droit d’avoir le contrôle et de décider de manière libre et responsable de sa sexualité, de sa santé sexuelle et reproductive, sans pressions, discriminations et violences». Alors n’attendons plus pour clarifier cet espace de liberté parce qu’il n’y a pas de vie sans liberté et pas de liberté sans possibilité de choix, soyons donc résolument pro-choix.