Une dose d’audace, une ligne de responsabilité et une bouffée de liberté… En tant qu’hédonistes épanouis et responsables de nos actes sur terre sans s’en remettre à une puissance supérieure, nous avons bien des raisons éthiques et philosophiques de ne pas adhérer à la logique prohibitionniste en matière de drogues.
Le choix de consommer ou non tel produit relève de l’élémentaire liberté individuelle qui nous est chère… et que valorise tant la démocratie de marché. Une liberté qui ne peut se trouver limitée que lorsqu’elle porte préjudice à celle d’autrui. Or l’usage de produits illicites ne nuit à personne si ce n’est, éventuellement, à celui qui s’y adonne. À l’inverse, toute limite à la liberté d’autrui risque un jour de se retourner contre la mienne; toute restriction de liberté en entraînant inévitablement d’autres.
Des principes
Notre humanisme se fonde sur l’autonomie de l’individu, seul maître de son existence, autant que sur sa responsabilité individuelle et sociale. Quand ne sévissent pas l’autoritarisme ou l’obscurantisme, il a toutes les cartes en main pour analyser sa situation et prendre les décisions adéquates, jusqu’à décider de s’aliéner en connaissance de cause. Un système qui assène qu’un produit est maléfique et plus fort que lui infantilise l’individu et entrave sa prise de responsabilité.
La morale du fruit défendu, du péché et de la culpabilisation n’est pas la nôtre. La recherche du bien-être ou simplement d’un peu de détente et de déconnexion fait partie, à nos yeux, des droits de la personne et des fondements d’une société épanouie. Nous –et encore moins l’État– n’avons pas à juger de la manière dont chacun se procure des plaisirs, que ce soit par la gastronomie, la masturbation, la contemplation esthétique, l’orgie, la lecture ou la défonce (tant qu’il respecte autrui, bien entendu). Au-delà du plaisir, l’expérimentation, l’ouverture des portes de la perception, l’augmentation des capacités humaines et l’élargissement du champ des possibles sont des aspirations légitimes de l’humain qui ne se contentera jamais du statu quo.
Enfin, l’arbitraire nous insupporte, l’égalité nous paraît primordiale et la diversité nous enrichit. Or force est de constater que la distinction entre produits licites (alcool, anxiolytique, jeux vidéo…) et illicites (cocaïne, héroïne, extasy…) ne répond pas à un traitement égal de tous les produits mais à des enjeux culturels (nos pratiques sont plus normales que celles des autres), géopolitiques (Colombie, Afghanistan…), économiques (e.a. lobbying pharmaceutique) et de contrôle social (le champ de bataille de la prohibition s’est toujours implanté dans les quartiers populaires et immigrés).
Cependant, l’ensemble de la société ne partageant pas forcément nos valeurs, nous n’infléchirons pas de changement politique rien qu’en leur nom. Du reste, par les temps qui courent à notre perte, il y a certainement d’autres libertés plus fondamentales à défendre d’urgence.
Des pratiques
Aussi, c’est surtout notre libre examen, notre conscience sociale et notre réalisme qui nous empêchent d’avaler la pilule de la prohibition (1). Et nous assignent, non pas tant à revendiquer la dépénalisation de l’usage de drogue qu’à promouvoir une politique positive de régulation du commerce des produits et d’accompagnement de leur consommation.
Les drogues ne sont pas interdites parce qu’elles sont dangereuses, elles sont dangereuses parce qu’interdites.
D’abord, tordons le cou aux mensonges et préjugés qui soutiennent la prohibition et que cette dernière distille dans les cerveaux jusqu’à en faire des dogmes indéboulonnables. Les drogues ne sont pas interdites parce qu’elles sont dangereuses, elles sont dangereuses parce qu’interdites. Toute consommation n’entraîne pas irrémédiablement dépendance, aliénation et détérioration physique ou psychique, loin de là. Et pour la part, minoritaire, des addictions problématiques, ce n’est pas en les culpabilisant, pénalisant et marginalisant qu’on aidera les personnes qui en souffrent.
C’est, en grande partie, le système prohibitif, et non le produit en soi, qui engendre les consommations problématiques ou excessives, c’est-à-dire les nuisances tant au consommateur qu’au corps social. Dès lors qu’il n’est pas pris en charge par la société, le marché des substances illicites est confié à l’industrie du crime –du petit dealer aux grands réseaux maffieux– qui ne se soucie que de maximiser ses profits et non de la qualité des produits, donc d’élargir sans cesse sa clientèle et la rendre rapidement dépendante, plutôt que de prendre en compte ses aspirations et de chercher à la responsabiliser. Évidemment plus le système légal est répressif, plus le produit sera difficile à trouver, plus les dealers pourront augmenter leurs tarifs ou couper les drogues originelles avec des adjuvants plus toxiques. L’interdit pénal et la difficulté d’accès au produit stimulent également l’invention de substances beaucoup plus actives ou concentrées, ne laissant plus le choix au consommateur d’opter pour un produit doux et un dosage correspondant à sa recherche personnelle de bien-être.
Ces produits, mais également les conditions clandestines, précaires et donc peu hygiéniques dans lesquelles ils s’utilisent, ont des conséquences désastreuses sur la santé publique. Une part croissante des professionnels de la santé et du secteur assuétude déplore que la prohibition et tous les tabous qu’elle charrie constituent de graves entraves non seulement au traitement et à l’accompagnement des personnes toxicomanes mais aussi à la prévention des éventuelles consommations problématiques.
La prohibition des drogues fait partie des causes principales de l’engorgement des tribunaux et de la surpopulation carcérale.
Ce système qui criminalise l’usage de drogue provoque d’autres formes de délinquance à travers la marginalisation et la précarisation des usagers face à l’inflation des produits. La prohibition des drogues fait partie des causes principales de l’engorgement des tribunaux et de la surpopulation carcérale. Nous ne pouvons ici passer sous silence l’hypocrisie et les discriminations qui règnent dans le champ pénal en la matière. Les traders qui carburent à la coke ou les flics qui assurent leur fin de mois en revendant le fruit des saisies ne semblent pas poser le même problème à la défense de la société que le jeune qui fume du haschich à Molenbeek. Ce dernier joue le rôle parfait de bouc émissaire et d’épouvantail sans lequel les logiques sécuritaires ne pourraient asseoir leur emprise sur la population.
En finir avec la répression
La prohibition n’est ni une politique juste, ni une politique bienveillante, ni une politique solidaire. Notons encore que son appareil répressif coûte très cher à l’État pour des résultats peu convaincants. Mais qu’elle n’est pas perdue pour le tout le monde. Sans les liquidités des maffias et des grands trafics illégaux, bien des régimes corrompus s’écrouleraient et les récentes crises financières n’auraient pu être surmontées aussi aisément. Au point que l’UE, invite désormais les États à comptabiliser le trafic de drogue dans leur PIB…
La prohibition de l’alcool dans les années 30 avait déjà fait la démonstration de ses effets pervers. De nombreux avis, et des plus officiels, confirment aujourd’hui l’échec et la contre-productivité de la prohibition des drogues. De manière plus globale, il est temps de rompre les boucles sécuritaires qui inquiètent pour mieux protéger et d’en finir avec les perversions de la répression qui renforce ce qu’elle prétend combattre.
Les substances psychotropes et la recherche de sensations nouvelles ont toujours existé dans toutes les sociétés humaines. Elles ne disparaîtront pas de si peu, bien au contraire. Alors autant faire face au phénomène par une politique de prise en charge lucide, responsable, cohérente et humaniste. D’autant plus qu’avec un modèle de régulation de la circulation des psychotropes, pierre parmi d’autres à l’édification d’une société plus juste, nous pouvons faire l’hypothèse qu’il y aura nettement moins de consommation problématique, voire de consommation en général. Car il va sans dire qu’une telle politique n’induit en rien une promotion de l’usage de drogue, tout comme l’encadrement légal de la pratique de l’IVG n’a jamais été une incitation à avorter.
(1) Cf. le dossier de Bruxelles Laïque Échos, n°60: «Avaler la pilule de la prohibition?», 1er trimestre 2008.