Espace de libertés – Avril 2015

Comment imaginer une autre politique des drogues?


Dossier

Le point de vue d’Infor-Drogues (1)

Sortons du cadre! Rêvons un autre futur, mais un futur inscrit dans le réel, c’est-à-dire dans un monde au sein duquel, qu’on le veuille ou non, les drogues existeront toujours […]: un avenir à la mesure de nos ambitions de citoyenneté libre et responsable dans un État démocratique.


Sous les apparences du rêve et du « catalogue de bonnes intentions », les propositions suivantes tentent toutes de ramener l’approche de la question des drogues sous l’angle de la raison et des valeurs démocratiques, pour réaliser une politique qui s’inscrive dans une perspective de prévention.

Les lois

Pour le futur, nous espérons des lois claires et compréhensibles, qui aient du sens pour tout un chacun. Des lois et des dispositifs juridiques qui, au lieu de renforcer le contrôle et la répression des populations supposées «à risque», stimuleraient leur participation et leur intégration. Un système de lois qui garantirait l’ordre public sans pour autant porter atteinte aux libertés individuelles et qui cesserait d’inscrire l’usage des drogues dans un régime d’exception. Une politique de lutte contre la criminalité qui n’alimenterait plus la surpopulation carcérale, elle-même terreau du recours massif aux drogues en prison et à sa sortie.

Les jeunes

Pour le futur, nous rêvons d’une société qui protégerait et émanciperait les jeunes. Qui leur apprenne à prendre soin d’eux-mêmes. D’une société dialoguant avec les jeunes, sans tabou ni hypocrisie y compris sur la question des drogues. D’une société ne faisant pas l’impasse sur les avantages et les inconvénients de la prise de risques, ni sur les questions, certes complexes, qu’ils posent et qu’ils renvoient à tous et à chacun. D’une société qui reconnaisse dans la prise de risque –l’usage de drogues peut revêtir cet aspect–, un moyen pour les jeunes de se trouver et de grandir comme nous l’avons tous fait, chacun à notre manière. D’une société qui écoute ses jeunes, leur donne de l’espace et leur offre des perspectives autrement folichonnes que celles d’être des outre-consommateurs exploités et sacrifiés aux lois du marché. Une société au sein de laquelle la sécurité et l’éducation des jeunes reposent sur la rencontre d’adultes soucieux de les accompagner dans leur devenir plutôt que sur la prolifération de moyens de contrôle en tout genre qui ne visent que la gestion de flux, de groupes, d’individus en circulation dans l’espace public (dépistages, patrouilles et contrôles, caméras de surveillance et autres dispositifs de technosécurité).

L’éducation

Nous rêvons d’une école disposant des moyens nécessaires à l’éducation des jeunes, c’est-à-dire une éducation au monde dans lequel ils sont appelés à devenir des citoyens libres, responsables et critiques, capables de prise sur la société. La santé des jeunes, physique et mentale, passe par cet apprentissage de la participation citoyenne, mais aussi par la culture et le soutien de leur potentiel créatif. Nous rêvons d’une école ouverte au monde, ce qui ne veut pas dire ouverte au «marché» ou objet de marchandisation, ni d’une école colonisée et régie par la police et les dispositifs de lutte contre la criminalité. Nous rêvons d’une école respectueuse du bien-être des jeunes et du personnel scolaire, d’une école respectueuse de l’égalité des chances.

Les médias

Concernant les questions de drogues, nous rêvons de médias privilégiant l’analyse, la réflexion et la raison plutôt que l’émotion, la dramatisation et l’accumulation d’informations sans lien entre elles et souvent détachées de leur contexte. Des médias participant à une réelle amélioration des connaissances du public et lui permettant dès lors davantage de prise sur ce sujet de société.

Pour le futur, nous souhaitons des médias qui fassent un travail de véritable contre-pouvoir plutôt que d’entretien d’opinion dominante. Des médias qui ne soient pas soumis aux diktats de la publicité et donc de la consommation et des multinationales.

Les parents

Dans le futur, nous rêvons d’une société qui donnerait davantage de moyens et de temps aux parents dans l’éducation de leurs enfants. Une société lucide et perspicace –grâce à ses politiques, ses institutions, ses professionnels, ses médias, etc.– qui amènerait les parents à avoir davantage confiance en leurs capacités et davantage de sérénité face au phénomène des drogues et aux inquiétudes, légitimes, qu’il suscite.

La prévention

Pour le futur, nous rêvons d’une politique de prévention socio-éducative et sociosanitaire– qui dispose des moyens nécessaires à son efficacité. Que ses acteurs et leurs champs d’intervention soient clairement définis afin d’éviter –notamment– les chocs néfastes et stériles d’interventions provenant d’horizons les plus divers (police, entreprises, sectes, etc.) qui contrecarrent et annulent les politiques préventives développées. Que les moyens dégagés assurent le développement de politiques au long cours, car l’éducation et la prévention si elles se pratiquent au quotidien ne portent leurs fruits qu’à moyen et long termes.

L’aide et le traitement

Dans le futur, nous rêvons d’une société au sein de laquelle les usagers de drogues, tant légales qu’illégales, ne soient plus victimes de discrimination lorsqu’ils s’adressent aux services publics, notamment sociaux et de santé. Nous savons que de plus en plus de personnes de tous âges recourent aux substances psychoactives (pensons à la question de la dépendance alcoolique) ce qui interpelle de plus en plus les services psycho-médico-sociaux. Nous espérons que les personnels concernés puissent bénéficier de formations appropriées leur permettant un meilleur accompagnement des personnes en difficulté avec ces substances.

Pour en finir…

Pour le futur, nous rêvons d’une société ne laissant pas le contrôle des drogues aux mafias avec le cortège de désagréments que l’on connaît (violence, criminalité, blanchiment d’argent, paradis fiscaux, financements occultes, corruption, etc.). Nous rêvons donc d’une société mature et intelligente, adoptant la réglementation des drogues pour mieux les contrôler plutôt qu’une société s’enferrant dans la politique actuelle de prohibition qui est un échec et cause elle-même de problèmes majeurs; l’éducation et la prévention plutôt que la répression et les chasses aux sorcières. Nous rêvons d’une société qui ne sacrifie pas ses enfants et ses citoyens aux lois impitoyables du marché et aux diktats d’une mondialisation non respectueuse de l’humain.

 


(1) Les propositions suivantes sont issues d’un article du 22 décembre 2006 téléchargeable dans sa totalité sur www.infordrogues.be. Nous les reprenons ici avec l’aimable autorisation d’Infor-Drogues.