Espace de libertés – Avril 2015

La culture a-t-elle besoin de l’argent public pour exister?


Droit de suite

Une réaction à l’article « Peut-on envisager une société sans subvention à la culture? » paru dans le dossier « Je suis culture » (Espace de Libertés n°436, février 2015)

À nouveau, Corentin de Salle brandit le mythe de la culture « rentable » et « autonome ». C’est d’autant plus étonnant qu’aujourd’hui, et sauf quelques rares exceptions, il n’y a plus une banque, plus une industrie pharmaceutique, plus un médecin ou un pharmacien, plus un opérateur de télécommunications (etc.) qui envisagerait la question de sa rentabilité en dehors des financements publics que captent ses activités: chiffres d’affaires obtenus par des marchés publics, interventions d’institutions publiques en compensation du chiffre d’affaires, aides à l’emploi, régime social ou fiscal avantageux, financement de la recherche et développement, aide à l’exportation, aide à l’investissement, etc.

De même, une étude comparative (Frédéric Martel, De la culture en Amérique, Paris, Gallimard, 2006) des systèmes fiscaux américains et français a montré que les ressources publiques affectées aux opérateurs culturels étaient sensiblement les mêmes, de part et d’autre de l’Atlantique, mais que les modalités d’affectation de ces ressources fiscales étaient très différentes. En effet, aux États-Unis, le contribuable peut lui-même décider d’affecter directement une part de ses impôts à des opérateurs culturels (musées, opéra, théâtre, etc.) –ce qui lui permet de tirer des avantages significatifs (services) auprès de ces opérateurs. Il est inexact de rapporter ces modes de financement à la seule pratique commerciale ou à la seule initiative privée car, en effet, le régime général de ces «donations» est un cadre fiscal contraignant, c’est-à-dire une modalité particulière de perception et d’affectation des ressources publiques (impôts).

Aussi, si nous voulions améliorer la comparaison des performances économiques entre les différents secteurs d’activités, il faudrait: d’une part, instaurer dans le plan comptable des banques et des sociétés commerciales un niveau d’information distinct où comptabiliser le chiffre d’affaires réalisé à charge des pouvoirs publics (marchés publics et interventions compensatoires) et d’autre part, obliger les pouvoirs publics de différents niveaux (fédéral, communautaire, régional, provincial et communal) à publier la liste des destinataires finaux de leurs affectations.

Sur la base de ces informations, nous pourrions alors mieux répondre à la question: qui a besoin de l’argent de l’État pour exister? Dans une telle démarche comparative, je ne suis pas sûr que les métiers de la culture aient tant à rougir de leurs résultats et je suis certain que notre conception de la politique culturelle y gagnerait.