Espace de libertés – Avril 2015

Libres ensemble

Le 13 février 2014, l’euthanasie des mineurs était dépénalisée sous certaines conditions. Durant le débat qui a précédé l’adoption de la loi, la question de la « capacité de discernement de l’enfant » a rapidement occupé le devant de la scène, cet élément faisant partie intégrante desdites conditions de la nouvelle loi.


Il est important de préciser que dans ce débat, il y avait, de la part des opposants, un glissement systématique de la terminologie qui réduisait la situation de mineur (au sens légal du terme) à celui d’enfant, ce qui permettait tous les sophismes les plus éculés (« Un enfant ne peut conduire une voiture, donc il ne peut décider de sa vie ») et les allers retours incessants entre majorité légale et capacité ou non d’exprimer un choix libre. Nous éviterons ces avatars sémantiques sachant que la définition même d’enfant n’est pas toujours aisée dans le droit. Nous sommes, par nature, les enfants de nos parents, quel que soit notre âge, et notre capacité de discernement sera éprouvée tout au long de notre existence, bien que nous soyons majeurs.

Pour certains, la capacité de discernement est intrinsèquement liée à l’âge de la personne, signifiant de la sorte qu’un mineur ne possède pas cette capacité, alors que pour d’autres, celle-ci est liée au développement intellectuel de la personne et ne peut être arbitrairement attribuée à partir d’un âge précis. Pour aborder plus avant cette question, il est nécessaire de se concentrer sur quatre éléments: ce que signifie capacité de discernement, si elle est intrinsèquement liée à l’âge de la personne, si elle se construit selon les circonstances et si elle est, ou non, une composante de l’autonomie et de la liberté.

La capacité de discernement peut s’entendre comme la faculté de bien apprécier les choses, de pouvoir distinguer plusieurs objets de pensée traduisant ainsi l’idée de la conscience que l’on a des situations ou des problèmes rencontrés, avec lucidité et souci d’analyse. Il ne s’agit plus comme à l’origine du terme de distinguer le bien du mal, mais de faire la part des choses entre différentes options, toutes n’étant pas forcément égales par ailleurs. Cette capacité ne rencontre qu’incomplètement le concept de dilemme moral qui par essence renvoie à une situation où un ou plusieurs choix vont ébranler le sentiment moral de l’agent, chacun d’entre eux ayant des conséquences irréversibles non désirables, comme c’est le cas dans l’exemple bien connu du « wagon fou » (1). Dans le cadre du discernement, c’est le meilleur choix possible qui sera retenu, parce qu’il rencontre les attentes et valeurs de l’agent qui vont contribuer au meilleur choix possible.

S’il est évident qu’un enfant va se découvrir et s’ouvrir au monde au fil des années et tout au long de son parcours de vie, il n’en est pas moins dénué de sens critique et fera rapidement la part des choses entre ce qui est juste et injuste, bien ou mal. Le comportement face à des situations nouvelles sera source d’expériences et de connaissances. Dans le cas précis d’un enfant ou d’un adolescent malade, les confrontations successives provoquées par la maladie, les traitements, les hospitalisations vont forger une personnalité particulière qui elle-même sera la source d’une nouvelle appréhension du monde et de ses contingences et par-delà, d’une maturité que l’on peut qualifier de « précoce ». Du reste, un mineur doit être informé à propos des soins qu’il doit recevoir et ce que cela implique pour son avenir. Même s’il n’est pas encore reconnu comme pleinement autonome sur le plan légal, il n’en est pas moins libre et peut refuser certains actes si ceux-ci apportent plus de souffrance que d’avantages. Il ne peut être considéré comme une entité non pensante et passive. Le rôle des parents est fondamental, mais ils ne peuvent se substituer complètement à leur enfant dans un contexte de décision ayant un impact sur sa santé. L’enfant est par définition, vulnérable et s’il est malade cela ne fait qu’accroître cet état de fait, mais en l’occurrence, ses capacités de discernement ne peuvent être diluées dans cette vulnérabilité.

En conséquence, et en tenant compte des circonstances, il serait pour le moins discutable de ne pas prendre l’avis d’un enfant en décidant de façon péremptoire qu’il est incapable de décision en raison de son âge, tout en acceptant l’idée que ses facultés deviendraient subitement adéquates et pertinentes à la majorité. Cela conduirait à penser de manière erronée qu’un adulte acquiert « naturellement » ses capacités de discernement le jour de son 18e anniversaire. Devrait-on rappeler cet adage populaire qui consacre l’âge de 7 ans comme étant « l’âge de raison ». Les enfants du XXIe siècle seraient-ils devenus subitement moins matures? Considérer la capacité de discernement sous l’angle d’un présupposé normatif ne peut conduire qu’à vider ce concept de sa substance puisque seul l’âge serait la condition essentielle pour l’acquérir, ce qui évacue en même temps les situations biographiques singulières qui vont imposer à la personne des prises de positions et des choix parfois difficiles. On ne peut évaluer les capacités de discernement qu’en situation même si des tests psychologiques donnent des indications précieuses. Il faut malgré tout tenir compte du fait qu’une personne non malade n’aura pas la même appréhension d’un problème clinique que celle qui le vit, et il est logique et raisonnable de considérer cette qualité au cas par cas.

La pratique clinique et la jurisprudence ont montré que le mineur est capable de décider pour lui-même dans des circonstances précises et que respecter cela revient à respecter son autonomie et sa liberté. Ces deux éléments ne peuvent être exclus de la vie d’une personne, quel que soit son âge, et sont les conditions nécessaires pour l’expression de choix, dûment évalués par la capacité de discernement, celle-ci n’étant pas innée mais acquise par l’expérience singulière imposée par une situation nouvelle, inédite personnelle et non substituable. Il est essentiel de comprendre ce que la personne ressent et non ce qu’elle est censée ressentir. Il pourrait être dit que l’âge de raison n’a pas d’âge.

 


(1) Bernard Beartschi, Neurosciences et éthique: que nous apprend le dilemme du wagon fou?, mis en ligne sur www.igitur.org, le 6 mai 2011