Espace de libertés – Avril 2015

Vers la réduction des risques


Dossier

Boire du vin est un constituant culturel qui montre de manière exemplaire qu’il est possible de consommer de façon contrôlée et non dommageable une substance psychoactive et potentiellement dangereuse pour la santé, à condition de garder un œil sur les doses consommées et de respecter certaines règles et certains rituels.


La distinction entre consommation et abus d’une substance psychotrope dépend d’une part du niveau d’information et des valeurs personnelles du consommateur et d’autre part du regard extérieur porté sur celui-ci. Outre le dosage, des facteurs tels que le set (positionnement intérieur, préparation, motivation) et le setting (mise en situation soignée, ambiance, musique, présence d’un entourage amical ou inamical) influent également de manière déterminante le déroulement d’une expérience sous effets d’une drogue. Il existe un stock important de connaissances sociétales et interculturelles concernant l’usage de substances psychotropes de toute sorte. […] Cependant, si nous voulons communiquer efficacement avec les usagers de drogues, il est essentiel au premier chef de s’accommoder de leur motivation, de se replacer dans leur situation sociale pour obtenir une meilleure compréhension globale. Ce n’est qu’à partir de là que l’on peut aborder le sujet d’un point de vue pharmacologique.

Au-delà de la biochimie

La plupart des médecins ont pris pour habitude de considérer les effets des substances psychotropes essentiellement comme un processus biochimique induisant des modifications au sein de l’organisme que l’on interprète ensuite comme les symptômes de dérapages du fonctionnement normal des circuits nerveux en jeu. Chacun sait également que la description d’une bonne soirée arrosée de bière ou de vin, en sympathique compagnie, n’est pas complète si l’on ne retient que les éventuelles manifestations «pathologiques», telles que les rires trop sonores, les difficultés d’élocution, les écarts de comportement ou le passage discret par les toilettes pour y vomir. La plupart de ces moments bien arrosés en bonne compagnie se déroulent de manière tout à fait correcte et dans le cadre de ce qui est socialement admis. Même s’il semble que les choses tournent parfois à l’excès, il est en principe possible à tout moment de contrer l’éventuel dérapage. Cela vaut pour l’alcool, bien entendu, mais aussi pour le cannabis et, en partie, également pour les autres substances[…]. Pour bien comprendre les différents enjeux, il faut aussi tenir compte du fait que certaines substances psychotropes sont utilisées pour leurs effets thérapeutiques et que, dans différentes cultures et subcultures, leur utilisation est associée à un élargissement de la perception et à une expérience spirituelle.

Une approche salutogénétique

De nombreux professionnels de santé considèrent que l’abstinence totale est la meilleure protection contre les risques et les effets secondaires des substances psychoactives. Néanmoins, étant donné que certaines personnes recherchent justement ces expériences extrêmes, un avenir sans consommation de drogue est une pure vue de l’esprit. Les motivations hédonistes comme la consommation d’ecstasy lors d’une soirée techno sont sur le principe tout à fait compatibles avec une vision salutogénétique; si nous voulons obtenir une vision réaliste de l’être humain, nous devons nous confronter au fait que la recherche de moments de bonheur comportera toujours des risques et des effets secondaires indésirables. On n’interdit pas le ski seulement parce qu’il provoque des accidents. La première mesure pour éviter les accidents ne consiste pas à prononcer des interdits, mais à disposer de moniteurs de ski compétents. De la même manière qu’un chirurgien traumatologue, malgré toutes ses connaissances, ne sera pas automatiquement un bon moniteur de ski, le psychiatre qui aura vu de nombreux patients porteurs de psychoses induites par des drogues n’en sera pas pour autant le meilleur conseiller pour des jeunes qui ont tendance à se tourner plutôt vers leurs pairs que vers les médecins. La prévention des dommages liés aux drogues et la diffusion de l’information correspondante sont des missions qui incombent à l’ensemble de la société. […]

 


Espace de Libertés reproduit ici le «Mot de bienvenue» du Pr. Verres initialement paru dans le livret Parler de la consommation de drogues, MAG-Net 2, Sarrebruck, novembre 2014, avec l’aimable autorisation de son auteur.