Espace de libertés – Avril 2015

Bourgmestre: un titre qui lui va comme un gant


Entretien

L’entretien d’Olivier Bailly avec Daniël Termont

Un mail envoyé à une adresse trouvée sur le site de la ville. Une réponse dans l’heure, un rendez-vous fixé dans la journée. Arrive le jour de l’interview, Daniël Termont s’excuse pour les 3 minutes de retard. S’ensuit une discussion d’une heure sans GSM qui sonne, sans conseiller qui conseille. Efficacité et simplicité. L’homme fort de Gand mériterait-il donc son titre de deuxième meilleur bourgmestre du monde? Aux dernières élections, il a remporté près de 45.000 voix, là où Willy De Clerck au faîte de sa gloire en avait récolté 22.000.


Espace de Libertés: Vous avez récem­ment été élu deuxième meilleur bourgmestre du monde, vous vous y attendiez?

Daniel Termont: Pour être honnête, je ne sais pas pourquoi je suis nommé. J’ai entendu parler de ce titre quand j’étais dans les 26 derniers sélectionnés. Il y avait dans cette liste de grandes villes et des bourgmestres avec des noms connus comme les cloches [sic] tels Juppé. C’était déjà un honneur. Nous avons envoyé l’information par e-mail dans le monde entier. Ceux qui souhaitaient voter et commenter pouvaient le faire. J’ai terminé dans la shortlist, parmi les trois derniers. Tous ceux qui ont voté et donné un commentaire pouvaient poser des questions difficiles. J’avais 48 heures pour y répondre. Au bout, j’ai terminé deuxième. Je pense que le fait que je sois depuis longtemps sur la scène internationale a joué.

Gand apparaît comme un îlot du Sp.a dans une Flandre de centre droit, vos compagnons de route rêvent sans doute que vous fassiez de la Flandre ce que vous avez fait de Gand.

J’ai toujours dit que si j’étais convaincu que la méthode pour avoir la majorité absolue à Gand était applicable pour la Flandre, si j’avais une chance de réussir, alors je la tenterais. Mais je ne suis pas convaincu que la Flandre est comme Gand. Ici, les gens sont progressistes, de gauche, il y a quelque chose dans l’eau potable qui rend les gens ouverts [rires]! Je ne sais pas si c’est le cas de la Flandre. De plus, j’arrête en 2018. J’aurai alors 65 ans.

daniel termont gandVous arrêterez vraiment? Parce que les gens qui arrêtent et qui continuent…

Oui, je sais. Des gens arrêtent pour qu’on leur demande de rester, mais ce n’est pas mon cas [rire]. Si ma santé me le permet, j’irai jusqu’au dernier jour de cette législation.

Pas de cumul, arrêt à 65 ans, localiste, vous apparaissez comme un ovni dans le monde politique. Quel regard portez-vous sur celui-ci?

Je suis sévère envers moi-même mais je n’ai jamais dit un mot sur les autres. Une fois, j’ai souligné à Bart De Wever lors d’un débat TV qu’il en faisait trop: bourgmestre à Anvers, président de parti, membre du Parlement. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne fait pas bien son travail. C’est valable aussi pour Elio, Paul ou un autre. Ils font ce qu’ils veulent, ils organisent leur agenda comme ils veulent. Moi, je sais qu’une fois titulaire d’un siège au Parlement, je n’aurai plus la possibilité d’être tous les jours dans les rues de ma ville. Et j’ose dire que je connais tous les moindres recoins de Gand parce que je suis tous les jours dans la rue. Je suis convaincu que c’est une des clés de mon succès. Des gens qui ne sont pas socialistes se disent que je suis tout de même un bourgmestre qui s’occupe d’eux, de leurs problèmes, qui les écoute, donne des réponses même si elles sont négatives. Être parlementaire, cela veut dire ne plus avoir le temps d’être dans ma ville. C’est un choix. Patrick Janssens était aussi membre du Parlement flamand et bourgmestre de la plus grande ville de Belgique, mais il ne prenait pas le temps de voir les gens, de parler avec eux. Vous pouvez demander: chaque jour, des enfants viennent ici, des personnes font des vidéos, prennent des photos et je prends le temps d’être avec eux. On pourrait me dire que ce n’est pas la tâche d’un bourgmestre d’une grande ville de faire ça. C’est un choix.

Vous seriez de la vieille école?

Oui, sans doute. Je suis un produit de la génération de Gilbert Temmerman (bourgmestre de Gand de 1989 à 1994, NDA). J’ai eu la chance de grandir dans le parti. De devenir membre du conseil, dans la majorité, dans l’opposition, puis chef de section, échevin pendant douze ans puis bourgmestre pendant le même nombre d’années. J’ai eu l’occasion d’apprendre les dossiers. Comme Gilbert Temmerman, je n’ai pas fait de grandes études: je n’ai qu’un diplôme A2 de comptabilité mais pour le reste, j’ai beaucoup étudié! J’ai toujours maîtrisé mes dossiers, comme celui de l’énergie. Quand j’étais échevin du port et du développement économique, j’ai suivi pour le Sp.a les dossiers des réseaux de distribution. Je suis très fier de ce qu’on a réalisé dans le dossier du gaz avec Fluxys (1), qui est devenu un acteur très important sur le marché européen. C’était un dossier difficile, technique, politique, stratégique. J’ai eu l’occasion de l’étudier, de poser des questions ridicules peut-être mais j’ai toujours essayé de comprendre ce qui se passait dans les réunions. Ce travail m’a aussi permis d’avoir un carnet d’adresses.

Vous auriez le numéro de Medvedev?

Voilà. Dans le monde entier, je connais des gens, des gens importants d’aujourd’hui. Et cela nous donne des faveurs au niveau de la ville.

Mais la ville n’est pas que le port et l’énergie. Vous vous arrangez bien avec les entreprises privées?

On a des agendas différents mais la finalité est la même. Si j’ai collaboré avec les actionnaires de Volvo, ce n’était pas pour que leurs profits augmentent mais pour gagner de l’emploi à Gand (5000 travailleurs en 2015, NDA).

La toute-puissance de la NVA en Flandre ne vous incite pas à prester un nouveau mandat?

Mon nom a permis de récolter des voix, mais la relève est de qualité avec Tom Balthazar (échevin), Freya Van den Bossche ou Karin Temmerman (conseillère communale, nièce de Gilbert Temmerman). Nous avons de bonnes personnes qui peuvent me succéder. Et je ne vais pousser personne. Quand on aura décidé ensemble du candidat –et c’est à la nouvelle génération de le ou la désigner, pas moi de jouer la belle-mère–, alors je le soutiendrai. Mais je suis convaincu que les Gantois ne voteront pas en masse pour la NVA. Si on réussit encore à développer une liste progressiste à Gand, en cartel avec les verts et les progressistes indépendants, nous garderons la majorité.

Vous avez affirmé vouloir quitter le pays si la NVA arrivait au pouvoir.

Non non non! J’ai dit que je quitterais la Flandre si la NVA devenait majoritaire. Heureusement pour moi, je peux rester (rires). Je crains leur politique parce que j’ai vu une évolution dans ce parti. Quand nous avons formé le gouvernement flamand (législature 2009-2014, NDA), j’ai rencontré un parti flamingant mais social. Au fil des années de ce gouvernement, j’ai perçu une droitisation de leur groupe pour capter les votes du Vlaams Belang (VB). Beaucoup de mandataires du VB sont passés à la NVA et cela a forcément influencé leur politique. La NVA est de plus en plus un parti d’extrême droite. J’ai vu cette évolution et oui, je crains qu’il ait la majorité. Si on veut donner une réponse à cette évolution en Flandre, nous devons centraliser les énergies comme De Wever l’a fait à droite. On ne doit pas s’attacher aux structures, ne pas se tenir à son siège, mais développer une liste progressiste de gauche en Flandre. Alors là, on aura la possibilité d’avoir un gouvernement de centre gauche.

Avec le PVDA (le PTB flamand, NDA)?

Oui, si c’est possible. Mais je crains qu’ils ne soient pas prêts. Je suis convaincu que les structures politiques d’aujourd’hui vont disparaître. Ce que l’on voit en Grèce, en Espagne avec Podemos, montre un socialisme, un humanisme de gauche qui vient de la base de la population. Les structures existantes qui veulent les récupérer politiquement ne vont pas réussir à le faire. D’ici dix à vingt ans, nous aurons d’autres structures politiques.

En Flandre, cette évolution est incarnée par Hard boven hart?

C’est un bon exemple. Les partis qui pensent que leur structure est plus intéressante se trompent, en ce compris le Sp.A! Je plaide non pas pour détruire le Sp.A ou Groen, mais pour tenter de créer quelque chose au dessus, pour développer un nouveau mouvement de gauche. Et si on réussit, ce sera une réponse à la Flandre de droite.

 


(1) Société de transport et stockage de gaz naturel employant 1200 travailleurs, NDA.