Notre société se trouve face à un allongement de la durée de vie, comme nous n’en avons encore jamais vécu. Nous avons gagné 20 ans de vie sur ces cinquante dernières années. En 1960, les grands vieillards avaient 70 ans alors que cette expression porte aujourd’hui sur les nonagénaires. Nous nous trouvons actuellement avec quatre générations qui cohabitent: cette situation est tout à fait nouvelle dans l’évolution de l’humanité.
L’augmentation du vieillissement est souvent appréhendée comme un réel problème et le discours dominant, repris habituellement par les médias, se focalise sur les difficultés et le poids économique qu’il faudra endurer. Cette augmentation du nombre de personnes âgées engendre un accroissement des frais de santé et des moyens pour assurer le niveau de vie de cette population. Ce constat peut être problématique si nous restons dans une société basée sur une économie de marché qui place le travail comme moteur principal. Toutefois, l’évolution démographique implique des transformations sociétales qui s’opèrent à la lumière des transformations des mentalités.
Évolution des mentalités
Le profil des personnes âgées d’aujourd’hui ne sera pas celui de demain et il parait donc intéressant de rechercher de nouvelles pistes du vivre ensemble. Le paysage sociétal bouge: la population, par la scolarité et l’éducation, tend à davantage d’autonomie. Les femmes sont de plus en plus actives et peuvent (ou doivent) assurer une réelle indépendance financière. Elles contribuent par ce fait aux financements des caisses de l’État. Les baby-boomers sont mieux nantis que la génération de leurs parents et plus aptes à se prendre en charge. Par leur nombre, ils ont un poids décisionnel réel.
Si antérieurement la vieillesse était une histoire de femmes, l’homogénéisation des habitudes de vie entre les deux sexes induit progressivement un rapprochement de l’espérance de vie.
Ces transformations offrent une autre perspective à l’évolution de la société.
Un discours nouveau centré sur l’autonomie peut prendre place. L’évolution des mentalités des personnes âgées au fil des générations peut permettre à celles-ci d’enrichir la société actuelle.
Notre société de marché a vite perçu le groupe des plus de 65 ans comme de nouveaux consommateurs qui participent activement à l’économie. Ils sont devenus des publics cibles. Leur nombre a un impact sur la demande et sur l’offre proposée. Ce groupe est cependant loin d’être homogène. La population âgée est multiple: chaque individu est unique et chaque personne âgée a sa spécificité. Les modes de vie sont en continuelles évolutions.
Consommateurs, et puis?
Toute consommation nécessite des ressources et sans offrir une sécurité économique réelle, l’inquiétude et les comportements frileux empêcheront une réelle relance économique. Avec une adaptation du système de sécurité sociale garante d’un niveau de vie de qualité pour chacun, l’offre de services devra aussi correspondre aux attentes et considérer que ces personnes âgées deviennent acteurs de la vie sociale et culturelle.
Si le rôle de consommateur doit être souligné, on peut également voir de nouveaux mandats où le senior se positionne comme acteur de ses choix. Un temps réel se libère. Dans la prise en charge de première ligne, un rôle nouveau se dessine. La personne vieillissante assure souvent une fonction de soignant de proximité. Beaucoup d’hospitalisations, de placements sont évités ou postposés par ce nouveau lien social tissé grâce à l’arrêt du travail.
Nous constatons une nouvelle disponibilité pour sa propre famille: garde des petits-enfants, accompagnement de personnes malades. Souvent ce temps libéré permet de pallier les carences institutionnelles (écoles fermées pendant les vacances, pas d’accueil en crèche quand un enfant est malade). Avec l’évolution de la structure familiale, cette disponibilité n’est pas négligeable.
Le temps libéré peut s’offrir en dehors du registre de la famille proprement dite et se consacrer au volontariat. Notre pays se caractérise par un nombre considérable d’associations à mission psychosociale. Une personne sur cinq, dans notre société consacre du temps non rémunéré à des fonctions du vivre ensemble. Dans une société où l’usage est de souligner le manque de liens sociaux, ce potentiel est à rentabiliser. Des créneaux répondent à de réelles attentes et devraient permettre à certains de se réaliser en mettant en exergue leurs richesses propres. Combien d’aspirations ont vu le jour sur le tard? De vraies passions peuvent se vivre. Vocation artistique, plaisir de la lecture, nouveaux apprentissages… Ces pistes non limitatives mettent en exergue l’opportunité de se réaliser à une époque où on pourrait penser avoir déposé les outils.
Viser l’autonomie
Si intégrer les ainés à la société plutôt que de les marginaliser paraît une priorité, cette logique doit s’étendre à tout individu ou groupe fragilisé. Chaque groupe d’âge doit pouvoir avoir un rôle déterminant et participer activement à la vie de la cité. La valorisation des compétences paraît essentielle. Le monde du travail a changé. Le tertiaire, les avancées technologiques ont remplacé un travail centré sur la force et la jeunesse. Le travailleur n’a plus besoin de disposer des mêmes ressources physiques. Une expertise, un savoir-faire peut permettre de maintenir un rôle de transmission. Dans des unités de travail centrées sur la production et la compétition, où le stress est omniprésent, la présence d’aînés peut être des plus judicieuses. Cela doit s’envisager avec une approche globale, avec une réflexion systémique des équipes en place.
Assurer l’autonomie et permettre à chacun d’être acteur de sa vie est essentiel dans le cadre de la qualité de vie même si nous conscientisons les difficultés rencontrées lorsque nous sommes face à des situations de dépendance. Comment garantir à chacun de vivre libre dans l’affirmation de ses droits et de ses choix? Face à des problématiques de dépendance, des choix sont souvent opérés pour assurer la sécurité de la personne âgée. Le placement, l’aide apportée tentent de la protéger de tout risque. Or souvent, les stratégies mises en place altèrent le rôle social que la personne dépendante pourrait encore tenir bien qu’elle soit entourée de soignants et aidants. À force de vouloir protéger à tout va, nous construisons une société où toute fragilité est sous contrôle. Enfermer, priver de toute intimité parce que le sociétal a pour mandat de protéger: est-ce vraiment vivre que d’évoluer dans ce type de contexte? N’est-il pas plus cohérent de permettre d’appréhender l’existence avec cette part d’inconnu qui donne du sel à l’existence?
Tenir compte des aspirations et permettre de les concrétiser indépendamment des risques encourus contribuent au sentiment de bien-être: l’envie de se dépasser contribue au plaisir de chacun.
Toute politique doit tendre à la non-discrimination quelle qu’elle soit et protéger chacun de l’isolement: la parole et une place effective au débat en sont les principaux outils. Le développement des nouveaux modes de communication offre de réelles opportunités d’information à tous. Cela tient la route si nous ne faisons pas l’impasse sur la formation, l’information des aînés. Les moyens logistiques doivent être accessibles mais surtout utilisables par chacun si nous ne voulons pas agrandir le clivage et contribuer à l’isolement.
Nous passons notre vie avec une perception du temps qui nous est propre. Le vieillissement donne une accélération de cette perception. La personne âgée qui peut paraître ralentie par rapport aux pressions de notre monde vit bien plus rapidement que nous l’imaginons. Et si ce ressenti devenait une force et non un handicap?
Dans un monde de la performance, de l’instantanéité, cette réaction d’un « autre temps » est peut-être le réel apport de nos aînés. Cette mémoire vécue, le rappel des éléments significatifs de l’expérience humaine sera le chemin pour créer, recréer, une filiation avec nos origines.