Qu’est-ce que la maltraitance? Que recouvre-t-elle? Que faire face à celle-ci? Vastes questions! Nous proposerons quelques éléments de réponse dans cette modeste contribution.
L’article 379 du Code wallon de l’action sociale la qualifie comme tout acte ou omission commis par une personne ou un groupe de personnes qui, au sein d’une relation personnelle ou professionnelle avec un aîné, porte ou pourrait porter atteinte physiquement, moralement ou matériellement à cette personne. Observons qu’il n’est nulle question d’intentionnalité. La maltraitance peut être involontaire, fruit de routine ou d’un manque de recul. Son auteur peut lui-même être dans une situation de mal-être, de souffrance. Un aidant au bord de l’épuisement. Des professionnels peu nombreux ou pas assez formés. Elle n’est pas à envisager en terme manichéen.
Auteurs et victimes
À Bruxelles, une personne face à une situation qu’elle perçoit comme maltraitante peut contacter le Sepam (1). En Wallonie, Respect Senior remplit une mission similaire. Ses chiffres sur les appels reçus recoupent les études étrangères (2). La demande d’aide émane généralement de l’entourage (52%) et seulement un appelant sur quatre est un aîné (24%). La majorité des aînés mentionnés « victimes » sont des femmes (72%). Sept sur dix vivent à domicile. Un membre de la famille est souvent désigné « auteur » de maltraitance (62%). Ce n’est un professionnel que dans un cas sur cinq. Les maltraitances psychologique (28%) et financière (21%) représentent plus de la moitié des appels. Celle physique n’apparaît que dans un sur dix. Le suivi se traduit par une écoute active (42%) et une information (37%). L’accompagnement reste rare (4%).
Paradoxes. Dans la presse, la maltraitance en maison de repos fait sporadiquement les manchettes. Pourtant, c’est surtout la maltraitance d’un proche à domicile qui est évoquée. De même, la maltraitance psychologique est trois fois plus citée que celle physique. Mais elle n’est guère médiatisée. Un appel exprime une perception de maltraitance, peut-être non avérée. Les données disponibles sont toutefois vraisemblablement le reflet partiel d’une réalité autocensurée. Si l’auteur est un enfant, l’aîné peut craindre une rupture, un abandon suite à son expression. Dans un cadre résidentiel, la peur de représailles peut jouer.
Si le patient est au centre de nos préoccupations, nous devons aussi garder à l’esprit le droit de celui-ci à ne pas souhaiter de planification.
Valeurs
Avec une maladie de type Alzheimer, la communication verbale s’amenuise. Comme le relève Jean-Christophe Bier (3), toute maladie qui s’accompagne d’anosognosie (4) nous confronte à un dilemme entre préserver l’autonomie de la personne et un risque de maltraitance. Pour une personne anosognosique, il n’y a pas de choix à faire, puisqu’elle ne reconnaît aucun problème. N’imposer aucun choix, pour respecter son autonomie, équivaut parfois à la laisser dans un statu quo qui n’est pas toujours souhaitable. Par contre, en posant à sa place des choix au nom de la bientraitance, on passe outre son autonomie.
Face à cet enjeu, que faire? La question de la maltraitance renvoie au champ des valeurs. Même si ce n’est pas simple, une culture de respect et, osons, de bienveillance, est à prôner. L’ « auteur » est souvent un proche. Soutenir l’aidant informel est aussi une piste de solution: meilleure information sur les aides existantes, offre renforcée de formule de répit, amélioration de ses droits sociaux…
Il faut y sensibiliser le personnel. S’il est insuffisant, le risque de maltraitance est accru. Cela plaide pour des normes renforcées. Toutefois, plus de personnel ne résout rien s’il manque de professionnalisme. Et lors de recrutement, le choix peut être restreint.
En maison de repos, la bientraitance commence par l’accueil, la reconnaissance de la singularité. « Chaque résident veut exister et être considéré comme une personne unique, individualisée, avec une expérience de vie différente, des goûts et des préférences particuliers. Le contexte de vie est collectif et nécessite des renoncements, une organisation des horaires. Néanmoins, certaines institutions parviennent à moduler leur fonctionnement en s’adaptant aux spécificités de chacun. Par exemple, l’organisation du rythme des toilettes peut s’adapter un peu plus aux habitudes de vie précédentes, l’horaire du petit déjeuner peut être plus fluctuant, les activités proposées tentent aussi de dépasser la routine. » (5) Sans enjoliver le défi, la bientraitance passe également par la prise en compte de la diversité, particulièrement à Bruxelles. Dès 2000, les fédérations de CPAS préconisaient un parcours de vie dans le dossier de soins. Un arrêté du 9 mars 2014 impose dorénavant d’y inclure l’historique de vie.
Situation de faiblesse
Il introduit aussi l’advance care planning. La maison de repos et de soins invite le résident à faire connaître ses souhaits quant aux soins futurs. À sa demande, ils sont notés dans le dossier de soins et révocables à tout moment. Stimulante, cette approche suscite débat. Comme souligné par Jean- Christophe Bier, cela ne doit donc surtout pas devenir quelque chose d’imposé, trop systématisé. Si le patient est au centre de nos préoccupations, nous devons aussi garder à l’esprit le droit de celui-ci à ne pas souhaiter de planification. Nous nous trouvons face à un paradoxe, on demande aujourd’hui, dans le but de préserver son autonomie de demain, de déjà préjuger que l’on va (ou risquons de) perdre cette autonomie demain. Je peux comprendre que certains refusent de remplir, dès leur entrée, un formulaire qui les projette d’emblée dans ce futur fort angoissant (6).
Nous avons évoqué des pistes en amont. Une loi de novembre 2011 incrimine l’abus de la situation de faiblesse et étend la protection des personnes vulnérables contre la maltraitance. Son article 43 dispose que des services reconnus pour protéger de la maltraitance peuvent, avec l’accord de la victime, ester en justice. Nous n’avons pas connaissance d’une étude de jurisprudence sur cette loi.
(1) Service d’écoute pour personnes âgées maltraitées.
(2) Respect Seniors, rapport annuel 2012.
(3) Penser plus tôt… à plus tard. Projet de soins personnalisé et anticipé, Fondation Roi Baudouin, 2011, p. 54.
(4) Incapacité pour un patient de reconnaître la maladie ou la perte de capacité fonctionnelle dont il est atteint (Larousse).
(5) Caroline Guffens, « Bien vieillir en institution », dans L’Observatoire, n°75, 2012.
(6) Penser plus tôt… à plus tard, op. cit., p. 53.