Espace de libertés | Juin 2014 (n° 430)

Pertes d’autonomies, capacités préservées et planifications anticipées


Dossier

Nous évoluons dans un monde en mouvement, c’est d’ailleurs ce qui nous permet d’y évoluer. L’accroissement des moyens de communication et d’accès aux informations offre de nouvelles perspectives de débats et de réflexions. Les questions touchant à la fin de vie en général, aux pertes d’autonomies qui y sont régulièrement associées en font partie.


Ces débats sont d’autant plus difficiles à mener qu’ils touchent à des questions très complexes, intéressant chacun et accessibles à tous sans pour autant connaître de support scientifique, objectif permettant d’en cerner les limites ou d’en délimiter les implications. Les convictions s’y opposent effectivement avec force. Pourtant, chacun le fait avec un profond désir d’œuvrer au mieux-vivre et à l’amélioration de nos sociétés. Par-delà la beauté des débats contradictoires, ces épreuves de force ne mènent pas toujours, à plus de sagesse… À l’origine de tels débats coexistent bien entendu plusieurs motivations. Les pierres que nous y taillons acquièrent ainsi de nombreuses faces offrant plusieurs angles de visions différents.

Une éthique de conviction

Il existe un angle de vision éthique considérant un principe de conviction qui défend le respect de la vie à tout prix et prône donc d’opter pour une prise en charge palliative systématique, refusant de considérer les motivations d’une demande d’euthanasie et l’existence de situations ne pouvant s’intégrer de façon satisfaisante dans une démarche palliative, entre autres parce que le sujet est devenu incapable de communiquer et d’assurer un partage indispensable à ce type de prise en charge.

En miroir de cette vision éthique de conviction réside celle qui défend le principe d’autodétermination de chacun. Elle soutient le droit de tous à choisir librement ce qui lui correspond le mieux et pense que la démarche palliative est susceptible de prolonger des souffrances inutiles sans tenir compte des volontés du patient. Une troisième voie possible défend un principe éthique de responsabilisation. Celle-ci justifie de s’adapter autant que possible à chacun. C’est la voie habituellement choisie par les législations autorisant l’euthanasie.

Certains pays comme les Pays-Bas et la Belgique reconnaissent aussi la possibilité de demandes anticipées d’euthanasie (DAE). En Belgique, une DAE réalisée devant deux témoins est applicable dans un délai de 5 ans en cas de coma. Aux Pays- Bas, toute DAE est acceptable pour peu qu’elle ait été exprimée par son bénéficiaire et remplisse les autres conditions d’application.

En pratique, les demandes d’euthanasie suivent des facteurs d’éviction ou de préservation et peuvent être motivées par cinq conditions distinctes: la peur en l’avenir (éviction), une dépression (éviction), la présence de douleurs intenses, insupportables et réfractaires (éviction), la perte du sens de l’existence et une lassitude (préservation), ou un désir de garder le contrôle (préservation).

Pourtant, et c’est là une autre face de notre pierre en cours de taille, malgré l’existence de telles législations autorisant euthanasie et DAE, de très nombreux problèmes non résolus persistent.

Le premier de ces problèmes consiste en l’existence d’ « euthanasies » réalisées en dehors du cadre légal: sa réalisation sans demande explicite du patient (involontaire) qui parait aujourd’hui éthiquement indéfendable et celle de patient incapable de fournir un tel consentement (non volontaire).

Pronostic d’évolution

Notons que parmi les euthanasies non déclarées, jusque 21% seraient pratiquées sur des patients déments, ce qui nous mène à réfléchir à l’extension des DAE aux démences. Nous savons, toutefois, qu’un diagnostic suit une démarche statistique: il se vérifie dans les meilleures conditions dans 90% des cas. Mais il est vrai que la pose d’un tel diagnostic s’associe à un pronostic d’évolution (à vitesse variable) vers un déclin susceptible de susciter une peur de l’avenir, une possible dépression ou l’éveil du besoin de garder le contrôle, tous facteurs générateurs de demandes d’euthanasie. Les patients, y compris profondément déments, peuvent pourtant vivre et partager des moments de plaisir, de tristesse et d’humanité.

Le principe d’autodétermination soutient le droit de tous à choisir librement ce qui lui correspond le mieux et pense que la démarche palliative est susceptible de prolonger des souffrances inutiles.

En Belgique, les DAE sont claires puisque d’application exclusive en cas de coma. En cas de perte de capacités cognitives, une euthanasie n’est applicable que sur demande immédiate, non anticipée. Dans de tels cas, une extension des conditions de DEA permettrait peut-être d’amenuiser la crainte d’atteindre une situation non désirée. Aux Pays-Bas, 6% de la population de 61 à 92 ans a réalisé une DAE sans limites temporelles et imposant son application future… sauf si le médecin impliqué a des raisons légitimes de ne pas le faire. Aucune de ces euthanasies n’a été déclarée par la suite.

L’incertitude quant aux informations fournies aux patients demandeurs de DAE, quant à la persistance de sa validité et quant aux correspondances actuelles des conditions de la demande n’est résoluble pour le médecin qu’à l’aide de communications régulières et répétées avec le demandeur, ce qui correspond à une planification anticipée des soins.

Pour conclure

Il est important de considérer le possible impact sociétal d’une dérogation particulière de DAE limitée à un groupe d’individus ou de pathologies. Tout particulièrement lorsque ces pathologies peuvent connaître un doute diagnostique important, une variabilité pronostique et des options thérapeutiques variables.

L’expertise que cela demande imposerait des financements spécifiques et la réalisation de formations adaptées, en plus d’une reconnaissance du temps que cela prend.

Idéalement, une communication transparente mais aussi complète que possible sur la bonne qualité de vie toujours possible en cas de telles pathologies est, elle aussi, structurellement indispensable pour éviter de ne laisser émerger qu’une vision excessivement sombre de ces maladies, y compris aux malades.

Finalement, afin d’éviter que ces DAE se retrouvent non appliquées, il faudrait y adjoindre la valorisation, y compris financière, de planifications anticipées. Celles-ci ne devraient pas se limiter à une population cible mais bien s’adresser à tous afin d’augmenter l’initiation de la démarche qui reste le facteur le plus limitant de toute planification anticipée.