S’il est une valeur qui nous est chère en tant que laïques, c’est bien celle d’autonomie. Or le vieillissement inéluctable rend cette indépendance de plus en plus précaire et petit à petit la personne âgée devient dépendante pour toute une série d’actes de la vie quotidienne. La boucle « dépendance-autonomie- dépendance » est bouclée…
En effet, le petit d’homme naît totalement dépendant. À l’inverse de bon nombre d’animaux, tels les cervidés, le cheval, la girafe et bien d’autres encore dont les petits, à peine nés, s’ébrouent, se dressent sur leurs pattes et se mettent à marcher pour aller téter leur mère, le bébé humain est incapable d’en faire autant avant longtemps. Le nourrisson dépend de l’adulte pour tout: nourriture, déplacements, lavage, sécurité… L’éducation de l’enfant vise à son autonomie. Certains parents y accordent une importance essentielle et font en sorte que leur enfant puisse se débrouiller seul le plus tôt possible.
Autonomie
Une personne « normalement constituée », sans handicap (ni physique, ni mental), mène en général sa vie de façon autonome, en tout cas pour ce qui concerne ses besoins dits « primaires » selon la théorie de Maslow qui hiérarchise les besoins selon une échelle. Dans celle-ci, les besoins primaires sont ceux que l’on pourrait appeler vitaux: se nourrir, boire, respirer, éliminer, se protéger…
Vivre complètement autonome, sans ne jamais dépendre de personne est relativement utopique. En effet, tout un chacun dépend toujours d’autres personnes, ne serait-ce que du service des eaux qui distribue l’eau courante, du boulanger qui fabrique le pain, de l’agriculteur qui cultive les légumes, etc. Nous pourrions donc affirmer que, d’une façon générale, l’autonomie, c’est la capacité à gérer ses dépendances.
Mais en ce qui concerne la personne âgée, c’est la perte d’autonomie dans les actes quotidiens, comme évoqué plus haut, qui est manifeste et presque toujours très difficile à vivre car elle entraîne une dépendance. La personne se sent devenir une charge pour son entourage et ce sentiment lui est extrêmement pénible. La difficulté à accepter cette dépendance peut même amener la personne à refuser une intervention nécessaire. Je pense à cet homme de 90 ans, rencontré récemment, exceptionnel de lucidité et d’esprit, à la mémoire infaillible quand il évoquait ses années de captivité en camp de concentration, qui me disait qu’il ne voyait plus grand-chose à cause de la cataracte mais qu’il n’allait pas se faire opérer car « on » devrait le conduire à l’hôpital, le rechercher, s’occuper de son chien en son absence…
Dépendance
Dans le chapitre 8 intitulé « Autonomie et dépendance » du Corpus de gériatrie de janvier 2000 (1), il est noté: « Les termes d’autonomie et de dépendance ne sont pas opposés car l’autonomie se réfère au libre arbitre de la personne alors que la dépendance est définie par le besoin d’aide. Mais ces deux notions se complètent et sont à prendre en compte pour répondre au mieux au besoin de la personne âgée. Les causes de dépendance sont variées avec l’intrication de facteurs médicaux, psychiques et sociaux. Les conséquences de la dépendance intéressent la personne âgée, son entourage ou les acteurs médico-sociaux. »
Une personne dépendante pourrait être définie comme une personne qui, en raison de troubles physiques ou psychiques, ne peut mener une vie quotidienne sans aide.
Elle peut avoir besoin d’une aide physique ou matérielle pour pouvoir rester chez elle, que ce soit une voiturette pour se déplacer ou une présence pour des soins ou des actes ménagers. D’un point de vue psychique, une perte d’autonomie intellectuelle amène à ne plus savoir raisonner ou s’exprimer, ne plus avoir de référence temporelle ou spatiale, ne plus savoir gérer son temps de veille et de sommeil.
La définition donnée dans le Corpus de gériatrie est: « La dépendance est l’impossibilité totale ou partielle pour une personne d’effectuer sans aide les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychiques ou sociales, et de s’adapter à son environnement. »
Pour pouvoir continuer à vivre chez soi quand on est dans la dépendance, il est important d’aménager son intérieur pour le rendre le plus pratique et le plus sécurisant possible. Enlever les tapis, porter des chaussures confortables et soutenantes évitera les chutes.
La personne âgée pourra aussi recourir à l’aide extérieure prodiguée par les mutuelles ou les maisons médicales, tels les soins à domicile par des infirmières et des kinésithérapeutes. Des suivis logopédiques et psychologiques financés par les mutuelles sont également possibles. Ils pourront aider le patient à accepter ses propres limites et à découvrir de nouvelles possibilités pour réagir à sa situation.
Les aidants
En bout de course, quand le maintien au domicile n’est plus possible et que toutes les aides extérieures ont été exploitées, le placement en institution devient indispensable.
La dépendance étant ici essentiellement un besoin d’aide, quel rôle doit jouer l’aidant et quelles sont ses limites? Dans la notion d’aidant, il est utile de distinguer l’aidant proche (quelqu’un de la famille, un-e ami-e intime…) de l’aidant professionnel.
L’aidant proche joue un rôle important mais difficile dans l’accompagnement d’une personne dépendante: repas, toilette, gestion du quotidien administratif. Les aidants proches sont souvent épuisés physiquement et moralement. Ils doivent pouvoir dire leur fatigue, chercher de l’aide, travailler sur eux-mêmes, reconnaître leurs limites, être au clair avec eux-mêmes, éviter la culpabilité, mettre des limites avec le patient qui souvent à tendance à vouloir manipuler et à demander toujours plus.
L’aidant professionnel ne doit pas imposer ses valeurs philosophiques, doit pouvoir s’affirmer dans le respect de l’autre, être authentique, réfléchir avec la personne, les collègues, être attentif au temps passé avec le patient.
« Lorsque les capacités intellectuelles d’une personne âgée sont altérées, les soins qui lui sont prodigués doivent lui être expliqués. La volonté de la personne ou ses choix doivent primer sur ceux des proches. […] Dans tous les cas le respect de l’autonomie impose une négociation centrée sur les souhaits de la personne âgée », comme encore stipulé dans le Corpus de gériatrie.