Espace de libertés | Juin 2014 (n° 430)

Les mutualités au secours des pensions?


Dossier

Un entretien avec Ivan Dechamps et Dominique Blondeel

Si l’argent ne fait pas le bonheur, en ce qui concerne les troisième et quatrième âges, il y contribue fortement. Alors que les Cassandre du premier pilier des retraites chantent à l’unisson la marche funèbre des pensions solidaires, les assurances privées et les fonds de pension spéculatifs se frottent les mains. Vers qui se tourner pour une « troisième voie »? Les mutualités? À voir, avec Ivan Dechamps et Dominique Blondeel (1).


Espace de Libertés: On a le sentiment d’un délitement de la solidarité, d’un repli individualiste et d’une perte d’autonomie à tous les niveaux de la société. Cela se ressent-il également au niveau de l’assurance maladie des personnes âgées?

Ivan Dechamps et Dominique Blondeel: Il y a incontestablement un recul de formes institutionnelles et impersonnelles de solidarité sous les coups de boutoir de la mondialisation économique et de l’austérité budgétaire. On le voit avec la réduction des dépenses de protection sociale ainsi qu’avec l’effacement progressif des protections du droit du travail, le blâme jeté sur les allocataires sociaux et la montée des inégalités sociales et de santé. Toutefois, nous soutenons l’hypothèse que nous ne vivons pas une simple et longue crise permettant d’ajuster les variables économiques et de retrouver un état d’équilibre profitable à tous (a-t-il jamais existé?) mais à une mutation sociétale bouleversant les structures qui déterminent notre quotidienneté et nos identités.

Même si les institutions structurantes d’antan comme la famille, l’État, l’Église, l’armée, le parti ou le syndicat sont, pour partie, délégitimées et que les valeurs véhiculées par certains « maîtres » à penser, certains médias et politiciens penchent vers plus d’individualisme et d’égoïsme, voire de repli agressif sur l’identité communautaire, il n’y a pas de mutation à sens unique.

Des acteurs sociaux luttent, certes dans un grand éclatement, contre la régression civilisationnelle qu’une certaine droite veut imposer. Ils promeuvent les valeurs de solidarité et de respect de la dignité humaine autant par la voie politique et administrative que par la voie associative ou la voie de la solidarité interpersonnelle. Les mutualités issues des luttes sociales et du mouvement ouvrier en font pleinement partie.

On voit que les mutuelles proposent de nombreuses solutions. Mais qu’en est-il dès lors du secteur public? Est- il toujours un acteur de la solidarité intergénérationnelle?

Oui, même s’il y a repli de l’action publique voulu par la droite, le secteur public n’est pas moribond grâce, justement, à celles et ceux qui luttent toujours, à leur échelle et avec leurs moyens, pour plus d’égalité et de solidarité. Nous vivons, en Belgique, dans un système de « liberté subsidiée » par lequel des associations et des pouvoirs publics mettent sur pied des dispositifs visant à rendre ces valeurs effectives. En ce qui concerne Solidaris-Mutualité socialiste, tout en coopérant avec les pouvoirs publics dans la gestion de la sécurité sociale, présente à ses affiliés des assurances complémentaires intervenant là où l’assurance obligatoire soins de santé n’intervient pas ou organise des dispositifs de conseil et de service ouverts à tous.

Face au ressenti d’une impuissance de l’État, les moins âgés ont-ils encore une raison qui leur semble bonne de participer à la solidarité plutôt que de se tourner vers le privé sans se préoccuper des autres générations?

Les attaques subies par les acteurs portant les valeurs de solidarité, de dignité humaine, d’accès égal aux soins de santé, sont en effet susceptibles d’engendrer le repli vers des solutions d’assurances privées qui ne poursuivent pas l’intérêt général. Mais, si le chacun-pour-soi est un élément majeur de la mutation sociétale, il n’est pas le seul: un autre élément majeur réside dans la défense du bien commun que l’on retrouve dans nombre d’initiatives, de réseaux innovants, de forces politiques, sociales, syndicales et mutualistes. Cela ne se fait pas sans heurts, sans luttes et sans négociations complexes mais l’avenir n’est pas écrit. Cette résistance à la régression sociale, nous y participons: point n’est besoin d’espérer pour l’entreprendre, ni de réussir pour persévérer.

Les mutuelles ont pris des mesures et mis des programmes en place: l’effi cacité de ceux-ci a-t-elle été évaluée? Les résultats sont-ils conformes aux attentes de la stratégie mise en place?

Chaque mutualité se fixe des priorités dans le cadre des missions confiées par le législateur et met en place des mesures et programmes propres. En ce qui nous concerne, notre activité fait l’objet d’un processus d’évaluation continu afin d’adapter nos dispositifs aux résultats attendus, à savoir une sécurité sociale forte, humaine et solidaire. Notre positionnement, au sein des instances de l’INAMI, pour le maintien d’une sécurité sociale telle que nous la concevons a notamment permis la suppression des suppléments d’honoraires en chambre à deux lits en cas d’hospitalisation et l’émergence du statut « malades chroniques ». Notre campagne en faveur de l’ouverture d’un dossier médical global (DMG) a un effet d’entraînement très positif. Les actions de notre association Espace Seniors, en ne citant que les conférences sur l’euthanasie et les soins palliatifs, ont touché plus de 1000 personnes en 2014.

Les moyens nécessaires suivent-ils et assurent-ils la pérennité de ces actions des mutuelles?

Ils doivent suivre et nous nous battons au quotidien pour qu’ils soient maintenus. Il y va de la survie de notre système de sécurité sociale construit, rappelons-le, par nos aînés avec ténacité.

Peut-on encore envisager une vraie stratégie dans les politiques publiques en matière de couverture santé des aînés, compte tenu de la durée limitée des législatures?

Le problème n’est pas la durée des législatures: quatre ans au fédéral, cinq ans aux régions et communautés permettent de faire beaucoup de choses. Non, le problème, c’est que la « couverture santé des aînés » et celle de tout un chacun ont besoin à la fois de planification et d’inventivité comme de pain: les techniques évoluent, les populations croissent ou décroissent, vieillissent ou rajeunissent selon les régions; il faut donc être à la fois imaginatif, cohérent, vigilant et persévérant dans l’allocation des ressources afin d’assurer à tout un chacun, contributeur ou non, une protection sociale digne de ce nom et un accès aux soins de santé selon ses besoins.

 


(1) Respectivement conseiller auprès de la Direction service social et coordinatrice générale du Pôle politique du vieillissement de l’Union nationale des mutualités socialistes.