Espace de libertés | Juin 2014 (n° 430)

Objection de conscience: un droit bafoué en Grèce


International

Dix-sept ans après sa reconnaissance et treize ans après son inscription dans la constitution hellénique, le gouvernement grec entend le droit à l’objection de conscience militaire comme un privilège accordé aux Témoins de Jéhovah. Depuis deux ans, toutes les demandes du statut d’objecteur de conscience pour des motifs autres que l’appartenance à cette religion sont régulièrement rejetées. De plus, les arrestations et les procès des objecteurs de conscience se multiplient. Dernier épisode, le procès, le 13 mai 2014, de l’objecteur de conscience Dimitris Sotiropoulos, 48 ans, père de trois enfants, pour insoumission en… 1992.


Existe-t-il encore le droit à l’objection de conscience en Grèce? La question doit se poser sérieusement. La législation prévoit un service civil de 15 mois pour les objecteurs de conscience. Le statut est pourtant accordé d’une manière extrêmement sélective: dès le début, en 1998, la commission du ministère de la Défense nationale chargé de se prononcer sur les demandes, composée de deux militaires, de deux professeurs d’Université et d’un juge, accordait automatiquement le statut aux Témoins de Jéhovah, sur simple présentation d’un document de leur Église. Pour les autres, le menu prévoyait un examen sévère des convictions, dont la Sainte Inquisition aurait été jalouse, pour rejeter la moitié des demandes selon des critères inexplicables et inexpliqués.

L’objection de conscience, ce n’est pas un acte inné, mais le fruit d’une libération.

Un an de prison

Depuis deux ans toutes les demandes pour des motifs autres que l’appartenance à l’Église des Témoins de Jéhovah sont rejetées. Ce n’est pas la première fois que le ministère de la Défense nationale adopte cette attitude. Il l’avait déjà fait entre 2004 et 2006, mais à la suite d’une campagne du Bureau européen de l’objection de conscience (BEOC) et d’Amnesty International, il y avait eu le retour à la règle de l’admission du 50% des demandes. De plus, ces objecteurs de conscience sont déclarés insoumis, ce qui implique une amende forfaitaire de 6000 euros, instaurée en 2011, et des poursuites judiciaires. En 2013, plus de dix objecteurs de conscience ont été détenus, jugés et condamnés à des peines entre huit et douze mois de prison avec sursis par des tribunaux militaires. Parallèlement, les poursuites judiciaires des objecteurs pour insoumission qui ont eu lieu avant la reconnaissance du droit à l’objection de conscience suivent leur cours. La Grèce est le seul pays à avoir reconnu le droit à l’objection de conscience au service militaire sans avoir amnistié les insoumis d’antan.

« Ceci ne passera jamais », avait répondu, à la demande insistante des représentants du BEOC d’une amnistie pour les anciens objecteurs en 1997, le jadis ministre de la Défense nationale Akis Tsochadjopoulos quelques jours avant le vote du Parlement sur la première loi reconnaissant l’objection de conscience. Les conséquences de cette attitude ne se sont pas fait attendre. À des anciens objecteurs qui ont opté pour le service civil introduit par la loi, l’État a proposé un service alternatif sept à dix fois plus long que le service militaire.

L'antenne grecque d'Amnesty International réclame la relaxe de Nicos Karanikas. © BEOC/AmnestyL’antenne grecque d’Amnesty International réclame la relaxe de Nicos Karanikas. © BEOC/Amnesty

Insoumis

Le cas le plus flagrant est celui de Lazaros Petromelidis, objecteur de conscience depuis 1992. Pour avoir refusé un service civil de 30 mois en 1998 –s’il avait opté pour le service militaire, il aurait fait 4 mois de service, car il avait déjà 37 ans et il était père d’un enfant–, il a été détenu, jugé et condamné 16 fois pour insoumission, car la justice militaire grecque considère que, chaque fois que quelqu’un est convoqué à l’armée et ne se présente pas, il commet un nouveau délit d’insoumission. Sa dernière détention a eu lieu en 2013. La même année, deux autres anciens objecteurs de conscience ont été détenus et jugés: Nicos Karanicas, 45 ans, objecteur de conscience depuis 1995 et Nicos Krontiras, 47 ans, objecteur depuis 1996. La répression continue: Dimitris Sotiropoulos, 48 ans, père de trois enfants, est jugé par le tribunal militaire le 13 mai 2014 pour insoumission commise en… 1992. En 1998, marié déjà avec sa femme enceinte de leur premier enfant, il n’avait pas voulu effectuer le service civil, car il lui était impossible de tenir le fardeau financier d’un service civil de 36 mois.

Dans ces conditions, la question se pose réellement: peut-on encore parler d’existence du droit à l’objection de conscience au service militaire en Grèce?