Espace de libertés | Juin 2014 (n° 430)

Entrevoir la Belgique par un autre bout de la lorgnette, voici ce que propose l’ouvrage paru le 29 avril dernier, « Belgistan. Le laboratoire nationaliste ». C’est sans langue de bois que son auteur, Jacobo de Regoyos, journaliste espagnol, tente, dans sa grande expérience et amour de notre pays, d’en expliquer le fonctionnement dans toutes ses contradictions et d’analyser l’influence de son évolution sur l’Union européenne. La Belgique serait-elle l’éprouvette dans laquelle se joue l’avenir du nationalisme européen?


Destiné lors de sa première édition en 2010 uniquement au public de langue espagnol, le livre Belgistan. Le laboratoire nationaliste (Belgistán. El laboratorio nacionalista, éd. Ariel) est avant tout une sorte de manuel élaboré dans le but de rendre plus compréhensible la Belgique à des non-Belges. Un défi pour le moins hardi relevé par son auteur, Jacobo de Regoyos, journaliste correspon-dant pour la radio Onda Cero, vivant et travaillant à Bruxelles depuis 16 ans. Aujourd’hui, les Presses universitaires de Liège proposent une nouvelle édition de son essai, traduit en français, amélioré et mis à jour.

Ceci n’est pas un pays

Au pays du surréalisme, où compromis et contradictions règnent en maîtres, une tempête souffle sans discontinuer depuis quelques années, engendrant divisions et situations improbables entre les deux communautés principales du pays; flamande et francophone. Incompréhensible pour la majorité de ses voisins les plus proches, la Belgique semble souvent être une invention toute droite sortie de l’imagination d’un Kafka. D’ailleurs, l’auteur ne se prive pas de relever régulièrement tout au long de l’ouvrage, et non sans une note d’humour, les incongruités, de la plus anodine à la plus importante, qui pour nous, Belges, sont tellement inhérentes à notre vie quotidienne que nous n’y faisons plus guère attention. Antilangue de bois, Jacobo de Regoyos les relève sans ménagement. Se plaisant à comparer la Belgique à la Syldavie –pays imaginé par Hergé dans Tintin et le sceptre d’Ottokar–, le journaliste pose le doigt où ça fait mal, ne ménage rien ni personne tout en crédibilisant son discours par de nombreuses références à des textes, des discours et des articles.

Plus sérieusement, dans la première partie du livre, le journaliste s’attache à décrire les fondations de notre petit État, de ses origines à aujourd’hui. En remontant jusqu’à Jules César, le lecteur parcourt des siècles et assiste à la construction de la Belgique. En plus de constituer une très riche leçon d’histoire, ces quelques chapitres posent sur la table les fondations de tout ce qui se passe actuellement dans nos frontières. Hors de question donc de passer outre ces pages qui éclairent la suite et apportent de l’eau au moulin de chacune des communautés en conflit selon un point de vue où personne n’est tout noir ou tout blanc.

Belgistan, Belges mutants

La succession de crises plus récentes est passée au crible dans les chapitres suivants. Ainsi, après avoir décrit minutieusement notre structure institutionnelle qu’il n’hésite pas à qualifier de « mutante », l’attention de l’auteur se porte sur quelques gros scandales, dissèque le processus de la montée en puissance de la N-VA et ose même aborder le « gros dossier » BHV sans oublier le problème général du statut de Bruxelles qu’il aborde des deux points de vue; wallon et flamand.

La suite de l’ouvrage se concentre sur le confédéralisme, dont le journaliste explique le fonctionnement en prenant notamment le « bon » exemple de la Suisse, mais surtout, il propose dans ses dernières parties quelques études de cas où la Flandre et la Wallonie deviennent indépendantes, où la Flandre s’annexe aux Pays-Bas, où la Wallonie se lie à la France ou au Luxembourg, etc.

En filigrane de l’ensemble, considérant notre pays comme un microcosme des conflits nationalistes, Jacobo de Regoyos s’inquiète de la répercussion que les évènements en Belgique peuvent avoir sur l’avenir de l’Union européenne.

Étonnant instrument rédigé avec beaucoup de sentiments et encore plus de raison, cet essai passionnant est éminemment instructif et offre une vision extérieure qui ouvre les perspectives.

« La Belgique est un pays qui n’existe pas. Je le sais. J’y vis. » (Arno)