Espace de libertés | Juin 2014 (n° 430)

One of us: le face-à-face des éthiques


International

Depuis le traité de Lisbonne, les citoyens peuvent faire entendre leur voix jusqu’aux cieux européens. « One of us » prêche le droit de l’embryon à la vie.


Où commence la vie? La question est aussi vieille que l’humanité. Chacun a sa réponse. Les signataires de la pétition « One of us » (« Un de nous ») ont, eux, une conviction: la vie commence dès l’embryon, moment où l’ovule est fécondé par le spermatozoïde. Sans attendre davantage, gestation ou naissance, ils estiment que la vie est présente dès l’état embryonnaire et que détruire l’embryon revient donc à commettre un meurtre. En conséquence, la contraception et l’avortement (forcément prémédités) deviennent autant d’assassinats.

C’est pourquoi l’initiative citoyenne européenne « One of us » présentée le 10 avril dernier devant le Parlement européen est loin d’être anodine. La pétition, qui a recueilli le soutien de 1,7 million de citoyens européens (un million était nécessaire), veut établir « la protection juridique de la dignité, du droit à la vie et de l’intégrité de chaque être humain à partir du moment de sa conception ». Face à l’Europe, elle plaide pour l’interdiction et la fin du financement des activités qui présupposent la destruction d’embryons humains, particulièrement dans les domaines de la recherche, de l’aide au développement et de la santé publique. Ce qui revient à interdire le financement de l’avortement, directement ou indirectement, à travers celui d’organisations qui encouragent ou promeuvent l’IVG.

La position de l’UE est pourtant claire: les fonds de développement qu’elle dédie à la santé maternelle ne financent des services d’avortement sécurisés que dans des pays où l’avortement est légal, prévu par le droit national. Mais les initiateurs de « One of us » ont bien compris qu’en plaçant leur offensive au niveau européen, ils pourraient à terme brider les législations nationales et mener la charge contre des acquis éthiques parfois vieux de plusieurs décennies. Sans grande surprise, aux côtés d’organisations anti-IVG ou opposées au mariage pour tous, on trouve l’Église catholique romaine. Le pape François et son prédécesseur Benoît XVI ont eux aussi apporté leur soutien à la pétition, rappelant à ceux qui en doutaient encore que l’Église restera inflexible sur ce type de question.

Lutte contre l’esclavage

Après l’initiative « Right2Water », « One of us » est le second projet du genre à se retrouver devant le Parlement européen. Depuis une dizaine d’années, les coups de boutoir portés par les ultraconservateurs –de droite mais également issus de la gauche environnementaliste– contre les acquis éthiques ont été légion. Cette fois, cependant, la pétition a le mérite d’amener chacun à se compter.

1,7 million signatures, c’est évidemment important, mais cela reste relativement faible par rapport aux quelque cinq cents millions de personnes que compte l’UE. En mode mineur, leurs voix sonnent toutefois comme les clairons de la Reconquista: Grégor Puppinck, le président du comité de citoyens « One of us » et responsable du Centre européen pour la loi et la justice, ONG financée par les néo-conservateurs américains, n’hésite pas à dénoncer la « destruction des êtres humains », comparant son combat à la « lutte contre l’esclavage ».

Quant au bord d’en face, il apparaît plutôt soudé, en dépit des clivages politiques. Dès avant l’audience publique, la députée européenne finlandaise Sirpa Pietikäinen (PPE, le principal groupe politique du Parlement, réunissant chrétiens-démocrates et assimilés) rappelait que « les droits des femmes sont des droits humains. […] Le droit des femmes de choisir pour leur propre corps est fondamental et ne peut être mis à mal par la religion ou tout autre motif ». Message on ne peut plus clair envoyé au Parlement et à la Commission, cette dernière étant obligée de se prononcer dans la foulée. Pour Pierre Galand, le président de la Fédération Humaniste Européenne, « les organisateurs de l’initiative “Un de nous” utilisent le prétexte de la protection de la vie pour tenter d’imposer une législation antichoix qui serait préjudiciable pour la santé des femmes, le travail des chercheurs et la médecine régénérative ».

Dans l’immédiat, comme le fait remarquer Neil Datta, le secrétaire du Forum parlementaire européen sur la population et le développement, cette initiative « ne devrait pas aller bien loin au niveau juridique ». Reste à savoir si ce courant « très minoritaire chez les députés, un courant ultrareligieux de droite et d’extrême droite » n’est pas davantage toxique à la conscience européenne qu’on pourrait le croire. D’autant que bien des élections nationales et européennes lui apportent de l’eau au moulin. La présidente du Lobby européen des femmes, Viviane Teiltelbaum, s’inquiète de ce « mouvement de fond. Ces forces conservatrices qui se mobilisent ». Le socialiste Marc Tarabella évoque un « Parlement européen plongé dans le Moyen-Âge ».

Des progrès scientifiques à double tranchant

Si les vues des initiateurs de « One of us » devaient un jour passer la rampe, un impact juridique en cascade serait à craindre sur les dossiers liés à l’égalité homme-femme, à la contraception, à l’avortement.. Heureusement, pour l’heure, la science est un allié précieux du progrès éthique: elle insiste pour que les chercheurs puissent travailler sur des cellules embryonnaires. Avec celles-ci, commentait en 2012 le professeur Cédric Blanpain au Soir, « on peut tester de nouveaux médicaments candidats, on peut imaginer reconstruire à peu près l’ensemble du corps humain au niveau cellulaire. Et on peut mettre au point des modèles de maladie sans équivalents. C’est une formidable voie de guérison dont il serait dramatique de se priver… » (1)

Reste qu’ici aussi la science évolue. Des chercheurs tentent de mettre au point le moyen d’éviter la manipulation et la destruction d’embryons humains tout en obtenant une base de travail aussi performante. Confirmée, une telle découverte modifierait singulièrement la donne, en prêtant un argument supplémentaire aux pro-vie débarrassés peu ou prou des réalités médicales…

 


(1) Pascal Martin et Frédéric Soumois, « Blanpain: “Biffer cette recherche serait dramatique” », dans Le Soir, 24 octobre 2012, p. 24.