Premier roman publié à compte d’auteur, « Une tchagra s’est envolée » nous conte le cheminement spirituel d’un athée d’Orient et les déboires judiciaires de son ls tout aussi athée, et jongle entre passé et futur proche, enfance et descendance, sur fond de révolution tunisienne.
« Devenir athée dans un pays croyant ne survient pas par hasard. Nombre d’intellections sont tendues à l’âme du songeur, ou de la rêveuse: morceau de phrase mû dans un autocar ou pensée jaillissant des tréfonds de la nuit. Pourtant, seule la préhension compte, il doit attraper les idées ondoyantes, et s’y attacher dans la tempête. Satisfaction avait pris son envol, il l’avait choisi, il avait pris son billet pour un autre monde. » Ce monde, c’est celui de l’athéisme, dans un pays où la religion of cielle est l’islam et où tuer un mécréant reste bien vu par la frange intégriste.
L’histoire commence avec une légère anticipation, en septembre 2015. Mohamed Khalil, dit Satisfaction, attend son départ pour la Tunisie. Son fils Neil y est rentré durant la révolution, les poumons gonflés d’espoir et de liberté, pour y tenir un blog dissident. Il y racontait la vie de son père, la naissance de son athéisme et son parcours spirituel tortueux. Presque 50 ans plus tard, cet homme, devenu avocat, doit plaider la cause de son fils, contre la même barbarie que celle qu’il a connue durant sa jeunesse.
« Alternant les écrits tourmentés d’un père et les rêveries humanistes de son fils, l’ouvrage plonge dans l’univers profond des athées d’Orient. Embrassant les espoirs et désillusions de générations entières, Bassam Sassi livre un bouleversant un brûlot militant, irtant avec l’anticipation pour mieux dénoncer les dérives d’aujourd’hui. Sa plume maîtrisée et empreinte de mélancolie achève d’en faire un roman incontournable, terriblement d’actualité et intemporel à la fois. » On a suivi l’envol de la tchagra sans en perdre… un plume, constatant en refermant ce premier roman que l’éditeur ne nous avait pas menti. L’écriture est belle, riche, presque poétique, et le propos, par son ancrage dans le monde actuel, nécessaire: faire reconnaître l’existence des Arabes athées.
Tabou
L’auteur, qui écrit sous le pseudonyme de Bassam Sassi, est né en France en 1980, a passé plusieurs années de son enfance à Monastir avant de retourner vivre à Paris. Il est aussi musicien. On n’en saura pas davantage sur lui, car comme ses personnages, Bassam Sassi est athée et se cache derrière un nom d’emprunt car il sait que ses écrits pourraient lui coûter cher.
Malgré le Printemps arabe et la révolution du jasmin, et même si les accusations d’apostasie sont interdites depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, les athées tunisiens restent soumis à de sévères discriminations. Ainsi se rappelle-ton de Jabeur Mejri, athée tunisien emprisonné pour ses opinions qui a passé deux ans derrière les barreaux pour avoir publié sur Facebook des articles et des dessins humoristiques considérés comme insultants envers l’islam. Malgré la grâce présidentielle qui a permis sa libération en mars 2014, sa condamnation n’a toujours pas été annulée. Quand il était encore derrière les barreaux, son père a essayé de convaincre les habitants de la très conservatrice ville de Mahdia qu’il avait renié son mécréant de fils. Et sa mère de cultiver l’illusion d’une foi retrouvée en prison. Athée? Un fardeau lourd à porter…
Coming-out
« – Mon Oncle, je m’excuse de briser votre honneur, mais je ne crois plus en Dieu, je ne crois même pas aller en enfer pour avoir songé cela.
La réaction de l’Oncle Osmane [intellectuel religieux qui s’est occupé de l’éducation de Satisfaction, NDLR] ne se fit pas attendre, après les quelques millièmes de seconde qu’il lui fallut pour réaliser ce que le jeune homme venait de lui dire, il leva les yeux vers lui, et lui sourit… Il avait aimé la manière avec laquelle son protégé lui avait annoncé la nouvelle, son air si solennel.
– Crois-tu que je l’ignorais? Satisfaction resta stupéfait. Il avait envisagé nombre de scénarios, mais certainement pas celui-ci.
– Cela fait plus d’un an que tu n’es pas allé à la mosquée, tu ne pries plus et tu lis le Manifeste du Parti communiste. Je ne suis peut-être pas un grand joueur d’échecs, mais je ne suis pas si bête tout de même! Tu sais, tu es un homme libre, dans un pays libre. Je t’ai donné les bases que je considérais comme les meilleures. Je te laisse le choix de ta propre destinée… »
Pour les mécréants subissant le rejet et la haine perdure l’espoir que ce fragment de ction rejoigne un jour la réalité, portant loin, aussi loin que la tchagra –ce petit oiseau d’Afrique que la nuit obscurantiste n’empêche pas de voler très haut–, les rêves de reconnaissance des athées de culture musulmane.