Espace de libertés – Janvier 2015

Persécution des libres penseurs: une menace mondiale


Dossier

Publié annuellement par l’Union internationale humaniste et éthique (IHEU), le « Rapport sur la liberté de pensée » fait le point sur les discriminations et persécutions à l’encontre des personnes sans religion dans le monde. Il indique que dans treize pays, les athées sont menacés de mort. Pas moins…


Bangladesh, Indonésie, Pakistan, Gaza et les territoires palestiniens, Yémen, Qatar, Somalie, l’Éthiopie, Nigéria, Algérie, Syrie, Égypte, Libye et, dernièrement, Centrafrique et Liban également; voici est la liste des pays où les athées sont dangereusement menacés. Motif de cette persécution? Le « déni de foi ». C’est ainsi que dans trois pays –l’Arabie saoudite, le Pakistan et l’Iran–, la peine de mort pour blasphème est explicitement inscrite dans le droit pénal. En conséquence, les exécutions menacent tous ceux qui seraient tentés par le refus de la religion. On pense que c’est le cas aussi, par exemple, dans l’Afghanistan des talibans ou encore au Nigeria et en Somalie. Dans 55 États, la critique ou l’offense de la religion est pénalement poursuivie, et parmi ces États, 39 d’entre eux punissent l’athéisme de peines de prison.

L’IHEU souligne « qu’il est important de rassembler des informations sur les lois nationales discriminatoires et sur les autorités nationales qui violent la liberté de religion ou de conviction et la liberté d’expression. Outre qu’elles affectent les personnes ouvertement areligieuses, telles
que les athées et les humanistes, ces discriminations systémiques touchent sou- vent aussi des croyants, en particulier les minorités et les non-conformistes, et les non-affiliés (ceux qui n’ont pas de religion ou de conviction particulière concernant la conception du monde) ».

© Olivier Wiame

Pléthore de discriminations

Les discriminations juridiques systémiques revêtent de multiples formes, allant de l’existence d’Églises d’État (qui crée un privilège religieux), ou d’un enseignement religieux fourni sans cours d’éthique alternatifs séculiers dans les écoles, à des peines sévères, notamment d’emprisonnement, pour des délits « d’insulte à la religion », ou la peine de mort, pour simple expression de convictions athées.

Lorsque des régimes s’en prennent violemment aux personnes pour leurs idées et leurs convictions, tous les droits de l’homme sont mis à mal.

Le premier rapport a été publié le 10 décembre 2012, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme. Dans sa préface, Heiner Bielefeldt, rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, déclarait: « En tant que droit de l’homme universel, la liberté de religion ou de conviction a une application large. Toutefois, peu semblent avoir compris que ce droit offre aussi un cadre de référence normatif pour les athées, les humanistes et les libres penseurs et leurs convictions, pratiques et organisations. Je suis dès lors très heureux que, pour la première fois, la communauté humaniste ait produit un rapport mondial sur les discriminations à l’encontre des athées. J’espère que ce rapport recevra toute l’attention qu’il mérite de la part des personnes intéressées par la liberté de religion ou de conviction. »

Pour le rapport de 2013, la rédaction des remarques liminaires a été con ée à deux victimes de persécutions contre les athées. Les cas de Kacem El Ghazzali et Alber Saber, respectivement du Maroc et d’Égypte, y sont également exposés. Ces personnes estiment que la liberté de pensée et de conviction ne peut souffrir d’aucun compromis. Lorsque des régimes s’en prennent violemment aux personnes pour leurs idées et leurs convictions, tous les droits de l’homme sont mis à mal. L’oppression de la pensée par un État est un signe non pas de force mais d’égomanie et de lâcheté. Malgré les conventions et traités internationaux, nombre d’États commettent des discriminations plus subtiles mais importantes, qui ont un impact global. Non seulement les lois contre les « insultes » à la religion dans des pays relativement sûrs et relativement séculiers, par exemple, sont analogues aux lois sur le blasphème les plus implacables, où que ce soit dans le monde, mais elles contribuent en outre à maintenir la norme mondiale de surveillance et de répression de la pensée. Le monde ne pourra résoudre ces problèmes tant qu’ils n’auront pas été mis au grand jour.

© Olivier Wiame

La force du témoignage

Pour l’édition de 2014, l’IHEU a travaillé avec plus de 20 volontaires du monde entier et consulté ses orga- nisations membres dans près de 50 pays, afin d’actualiser le rapport et d’inclure, pour la première fois, des témoignages: « En 2014, nous voulons davantage exposer les problèmes sociaux auxquels se heurtent les athées. Nous nous concentrerons encore principalement sur les situations juridiques et les cas de discriminations systémiques. Mais il existe tout un univers de discriminations sociales bien plus difficiles à quantifier. Il serait quasi impossible d’examiner en profondeur la situation dans chaque pays pour ce type de recherche qualitative. Ce que nous faisons, c’est contacter les personnes opprimées qui ne peuvent dénoncer leur situation. Beaucoup ont déjà été en contact avec nous. Elles ne seront peut-être jamais poursuivies pour blasphème ou condamnées à mort pour apostasie mais elles subissent néanmoins des pressions sociales incroyablement fortes pour se conformer à la religion. Dans beaucoup de pays, ces pressions menacent les familles ou les perspectives de mariage, voire encouragent la vindicte populaire contre les personnes qui expriment des valeurs explicitement humanistes, préconisent le sécularisme ou dénoncent des autorités religieuses et remettent en question des croyances religieuses. Nous avons voulu inclure certains de ces témoignages dans le rapport de 2014. » Outre l’examen des aspects juridiques, le rapport met en lumière des cas individuels de persécution, tel celui d’Alexander Aan, l’athée indonésien libéré cette année, au terme de deux années d’emprisonnement pour gestion de la page Facebook « L’athée indonésien.

La nouvelle édition du rapport inclut aussi un récit sur Asif Mohiuddin, du Bangladesh. Ce militant a fait campagne pour le maintien du sécularisme et a réclamé des poursuites contre les auteurs de crimes de guerre. Avec des dizaines d’autres personnes, qualifiées de « blogueurs athées » par les partis politiques islamiques (impliqués dans des procès pour crimes de guerre), il a fait face à une manifestation de 100.000 islamistes qui marchaient sur la capitale, Dhaka. Ceux-ci réclamaient des réformes rétrogrades radicales qui auraient ancré l’islamisme dans le système juridique et exigeaient que les blogueurs athées soient tués pour leur « blasphème ». Quelques-uns des écrivains et militants sécularistes actifs aux côtés d’Asif ont déjà été assassinés dans ce qui apparaît comme des complots islamistes. Ce n’est donc pas une vaine menace. Au lieu d’arrêter ceux qui réclamaient la mort des athées en vertu d’une nouvelle loi antiblasphème, le gouvernement de cette démocratie présumée séculière a dit aux islamistes qu’aucune nouvelle loi contre le blasphème n’était nécessaire parce que les lois actuelles sur l’insulte à la religion étaient suffisantes pour poursuivre les blogueurs! C’était au début de 2013 et nombre de blogueurs font encore aujourd’hui l’objet de poursuites pour ces motifs imaginaires.