Le 25 novembre, le pape François faisait un discours en session plénière du Parlement européen. De nombreuses voix se sont alors élevées pour s’interroger sur la pertinence d’une telle intervention.
Si la laïcité est plurielle et reconnaît le droit à tous de s’exprimer, une intervention de 45 minutes sans possibilité de dialogue semblait un format par trop exceptionnel pour être conforme à ce principe. Devant les critiques émises par les laïques, le président du Parlement européen Martin Schulz expliqua qu’il s’agissait d’inviter un chef d’État et non le représentant d’une communauté religieuse. Si des doutes subsistaient chez les plus naïfs quant à cette affirmation, ceux-ci furent directement balayés par le pape lui-même qui expliqua en préambule de son intervention venir parler en tant que pasteur.
Ce dernier se fit également le détracteur de la laïcité européenne par des phrases comme: « Toutes les familles de pensée de notre vieux continent devraient réfléchir à quelles sombres perspectives pourrait conduire l’exclusion de Dieu de la vie publique, de Dieu comme ultime instance de l’éthique et garantie suprême contre tous les abus du pouvoir de l’homme sur l’homme. » Lors de son discours, il insista également sur l’importance des racines chrétiennes de l’Europe et de la transcendance comme principe de vie. L’absence de dialogue du format proposé par l’intervention du pape a dérangé de nombreuses personnes. Ainsi, des députés de plusieurs partis et nationalités refusèrent d’assister à la séance de prime abord. D’autres durent quitter la salle à la condamnation de l’avortement par le pape François –et ce, quelques minutes avant le vote d’un texte évoquant la santé et les droits sexuels et génésiques. Coïncidence?
Chef d’État ou représentant religieux?
Que le pape se fasse l’avocat des thèmes chers à son Église est une évidence. On notera d’ailleurs les efforts d’ouverture du pape à l’égard des pauvres et des immigrants. Que le président du Parlement européen tâche de faire plaisir à ses partenaires conservateurs et utilise tactiquement l’excuse de penser au pape comme à un chef d’État, bien que peu reluisant, peut également se comprendre. On peut même éventuellement comprendre le communiqué de presse dithyrambique du Groupe de l’alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen (S&D) sur le discours du pape évoquant la « délivrance d’un message de vérité ». La laïcité est malheureusement trop souvent victime des tractations politiciennes entre groupes politiques.
Ce qui est plus problématique pour la laïcité des institutions a été un rapport plus que dérangeant du Parlement européen. Afin de préparer la visite du pape, une « analyse approfondie » a été préparée par la Direction générale des politiques externes à l’initiative du département thématique ayant pour titre: « Une “révolution” au sein de l’Église catholique? Retour sur la première année du pontificat du pape François ». Qu’un rapport interne du Parlement porte sur la première année d’un chef d’État, bien qu’inhabituel, n’est en soi pas condamnable.
De la subjectivité de l’auteur
Ce qui dérange néanmoins est le fait qu’une « déclaration d’amour » au nouveau pape soit présentée comme une analyse approfondie par le Parlement européen. Les institutions européennes ont vocation à rester politiquement neutres et laïques afin que la démocratie puisse s’exprimer de manière non biaisée à travers les représentants élus du peuple. L’auteur du rapport propose sur une vingtaine de pages une biographie exhaustive du pape François et une « analyse » exclusivement positive de son pontificat. La modernité du pape ainsi que son intérêt pour les pauvres et les personnes en marge de la société sont soulignés. Exemple de « modernité »: l’auteur se félicite de la réforme du Code pénal qui introduit en 2013 (soit au moins 50 ans après tous les autres pays du monde) de nouveaux délits comme la torture, la pédopornographie et les crimes contre l’humanité (tels que les génocides et la ségrégation raciale). Cette réforme est la seule mention faite au Vatican en tant qu’État. On aurait pu espérer que le Parlement invitant le pape en tant que chef d’État ferait au moins l’effort de sauver les apparences.
Au-delà des louanges
Mais il faut dire que l’intervention du pape en tant que telle ne serait pas non plus exempte de critiques. État théocratique et non démocratique refusant de se conformer aux traités de droit international, le Vatican éprouverait des difficultés à venir présenter sa vision de l’Europe devant une assemblée démocratiquement élue. Alors même que les Nations unies ont condamné fermement le Vatican pour son inaction face aux actes de pédophilie commis en son sein et demandé que soient prises des mesures judiciaires, le pape s’est contenté de « prendre en charge » personnellement et de demander pardon pour les actes commis; il a donc ignoré la requête de l’ONU de renvoyer et traduire en justice les auteurs de ces crimes. Ce qui bien sûr n’est pas en concordance avec les droits de l’homme les plus fondamentaux. Si le Vatican s’estime qu’il ne lui revient pas de respecter les droits de l’homme les plus fondamentaux, pourquoi décider d’inviter son représentant afin de, pour citer Schulz, « réveiller l’Europe »? Un autre signe est la référence à une « lecture “idéologisée” et donc séculière de la réalité ». On pourra également noter la phrase suivante dans laquelle l’auteur (et employé du Parlement européen) fait sienne une idée profondément anti-européenne supposée au Pape: « D’un autre côté, le pape est conscient que seule une intervention directe des États-Unis pourra sauver ce qui reste des communautés chrétiennes orientales menacées par les conflits et par le développement du fondamentalisme dans la région ». Ce qui dérange également dans ce rapport, ce sont les termes utilisés qui révèlent sans ambiguïté l’appartenance de l’auteur du rapport à l’Église catholique. Le pape est par exemple appelé le « souverain pontife » ou « Sa Sainteté ». L’évangélisation est décrite comme un « moyen d’atteindre le cœur et l’esprit de millions de personnes ».
Le Parlement européen, en tant que seul organe élu de l’Union européenne, est un garant essentiel de la démocratie. Celle-ci ne peut s’épanouir que si tous les citoyens européens sont traités comme des égaux devant la loi, ce qui fait de la laïcité un fondement essentiel de la démocratie européenne.