Les chefs d’œuvres de la vente de Lucerne enfin réuni! L’art “dégénéré” s’expose à la Cité Miroir au travers d’une trentaine de toiles majeures, retrouvées après une longue enquête de par le monde.
Qu’ont en commun La famille Soler de Picasso, Le sorcier d’Hiva-Oa de Gaughin et La maison bleue de Chagall… Ces œuvres, et 123 autres, considérées par les autorités nazies comme représentatives d’un art dit “dégénéré” (Entartete Kunst), furent vendues lors de la célèbre vente de Lucerne de 1939. Une douzaine d’années de recherche dans le monde entier furent nécessaires à Jean-Patrick Duchesne, professeur à l’ULg et commissaire de l’exposition, pour en retrouver quelques-unes. Avec lui, une centaine d’étudiants se sont littéralement voués à cette enquête internationale pour retrouver les traces de ces chefs d’œuvre, dont certains ont malheureusement disparu. Loin d’être terminée, cette quête est toujours d’actualité. Mais le 75e anniversaire de la vente de Lucerne était l’occasion de dévoiler les quelques trésors déjà retrouvés.
Dégénéré… mais lucratif
À la fin des années 30, dans l’Allemagne nazie, les autorités du IIIe Reich font la chasse à tous les éléments, humains et matériels, qui semblent aller à l’encontre de leur idéologie; aucune raison ne justifiait que l’art soit épargné par ce syndrome de sélection et de rejet. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, les autorités nazies souhaitent ainsi liquider les œuvres d’art moderne. Les musées d’État sont alors vidés de leurs “symboles de dégénérescence”, possibles vecteurs de subversion. Pas moins de 7000 œuvres d’art auraient ainsi été confisquées. Certaines sont directement vouées à la destruction et disparaissent à jamais. D’autres –la majorité–, si elles sont effectivement estimées comme étant “dégénérées”, ne laissent cependant pas indifférents certains nazis quelque peu connaisseurs et aux penchants cupides. Sous les auspices officiels d’une “épuration” artistique nécessaire, une vente aux enchères est discrètement organisée en Suisse, à la galerie Theodor Fisher, le 29 juin 1939. Quelques experts ont sélectionné les pièces susceptibles d’être écoulées au prix fort. En course, 125 œuvres d’art, peintures et sculptures de 39 artistes, Allemands et internationaux. Averties discrètement des semaines à l’avance, des délégations officielles de différents pays et des collectionneurs privés se retrouvent à Lucerne à la date convenue. Parmi eux, des Belges, et plus particulièrement un groupe de sept Liégeois, désormais entrés dans l’histoire pour avoir réuni en un temps record la somme de 5 millions de francs belges dans le but d’acheter, et de sauver, neuf de ces chefs d’œuvre. Ces tableaux constituent depuis lors le noyau des collections du Musée des Beaux-Arts de Liège (BAL) et sont classés “trésor national”.
Un cocon protecteur
Un “cocon” a été spécialement conçu pour abriter dans les meilleures conditions la trentaine d’œuvres exposées. Dans le vestibule, le visiteur fait d’emblée connaissance avec les acteurs liégeois de la vente de Lucerne. De manière originale, loin des habituelles photos officielles, ce sont les caricatures de ces personnalités qui sont regroupées. Réalisées par l’un d’entre
eux, Jacques Ochs, elles appuient les archives de la correspondance entre les protagonistes autour de l’évènement. Quelques pas plus loin, les œuvres d’art “dégénérées” sont dévoilées dans une scénographie pensée pour les montrer comme brutalement arrachées et déposées avec, comme unique identifiant, un simple numéro –lors de la vente, elles ne furent symbolisées que par des chiffres, que ce soient ceux de leur ordre de mise en vente ou ceux de leur prix d’achat. En bruit de fond, des mots d’allemand claquent, semblables à ceux qui ont été prononcés le 29 juin 1939. Une manière pour le visiteur de participer “en direct” à la vente aux enchères et de se voir offrir, du moins au regard, des œuvres majeures de l’art moderne. L’expo se termine par un état des lieux de l’enquête.
En guise de conclusion, une question est posée: “En sachant que l’argent de cette vente a servi au régime nazi, avec toutes les conséquences que l’on connaît, n’aurait-il pas mieux valu ne pas sauver ces œuvres?” À cette question, le professeur Duschêne souligne l’importance pour les artistes de l’époque d’être achetés: “Ne pas voir son travail acheté lors de cette vente était un signe de disparition dé nitive. Une œuvre non achetée était vouée à la destruction et son créateur destiné à ne plus avoir aucune chance de créer. Par conséquent, les artistes encourageaient vivement à l’achat de leurs œuvres afin d’avoir la liberté de continuer à travailler par la suite. Mais il est vrai que cette vente était un couteau à double tranchant.”