Espace de libertés – Janvier 2015

L’Europe et le casse-tête jihadiste


International

Ils seraient 15.000 venus d’un peu partout pour mener le jihad en Syrie et en Irak. Parmi eux, des Occidentaux dont le cheminement est un casse-tête pour l’Europe.


Belgique, France, Royaume-Uni, Espagne… Aux côtés des grands « pourvoyeurs » de jihadistes que sont les pays du Maghreb et du Proche-Orient, les États d’Europe occidentale assistent, impuissants, au départ de jeunes radicalisés pour les combats de Syrie et d’Irak. Pas un jour ne passe sans qu’il ne soit question de l’État islamique, de Daesh, de tortures et d’exécutions sommaires.

Impuissants à empêcher les départs, les Occidentaux (à l’exception notoire des Allemands peu touchés par le phénomène) divergent dans leur manière d’encadrer les retours au pays. Réputés dangereux, susceptibles d’importer ici la violence des combats de là-bas, les returnees belges et français croupissent en prison ou attendent de rendre des comptes à la justice. Le Danemark, pour sa part, a choisi la méthode douce: il propose à ses ressortissants jihadistes un programme de réhabilitation pour retrouver « leur vie d’avant » tout en garantissant leur liberté. Dans la ville d’Aarthus, ils sont recueillis, soignés, puis assistés dans la recherche d’un emploi ou dans la reprise de leurs études. Et bien sûr, peu importe leur pays d’origine, ceux qui se laissent « retourner », fournissant aux services secrets des informations précieuses, jouissent d’un surcroît de clémence.

Mais au bout du compte, bien qu’il s’agisse de sécurité du territoire, les Européens peinent à mettre leurs efforts en commun. Le passage de Mehdi Nemmouche par l’Allemagne avant l’attentat du Musée juif de Bruxelles n’est pourtant pas sans rappeler l’itinéraire qu’avaient suivi au début de la décennie précédente les terroristes du 11 septembre. Un contexte différent, mais une menace semblable issue du fondamentalisme musulman qu’il est toujours aussi difficile de juguler en dépit des mesures adoptées des deux côtés de l’Atlantique.

Une menace croissante

En janvier dernier, l’Europe estimait pourtant que « les activités liées au terrorisme et à l’extrémisme violent ont évolué et constituent une menace importante et croissante au sein de l’UE. Elles sont le fait non seulement de groupes organisés, mais aussi, de plus en plus, de groupes plus restreints voire d’individus isolés, dont les sources de motivation sont multiples […] Toujours plus nombreux sont les Européens qui se rendent à l’étranger pour se former, s’entraîner et combattre dans les zones de conflit, leur radicalisation s’accentuant de ce fait davantage encore. Or ces individus peuvent, à leur retour, constituer une menace pour notre sécurité ». Les réseaux sociaux, leur rôle dans le recrutement des jihadistes et dans leur endoctrinement, étaient également épinglés. En revanche, il n’était pas encore question de la terreur sanglante qu’impriment dans les têtes les exécutions d’otages occidentaux par des bourreaux parfois français ou anglais.

Il y a un an, une « communication » avait donc été adoptée pour faire suite aux conclusions du sommet européen de juin 2013. Elle affirmait vouloir améliorer la stratégie européenne contre la radicalisation et le recrutement de terroristes lancée en 2005 (sous la pression de Washington). Des normes et des mesures communes avaient alors été décrétées pour tenter de créer un pont par-delà les prérogatives que conservent jalousement les États membres dès lors qu’il s’agit de leur sécurité.

Depuis, l’Europe s’est mise en devoir de créer un pôle européen de connaissance sur l’extrémisme violent, d’élaborer des formations pour les intervenants de première ligne et d’octroyer un soutien financier aux projets recourant aux outils de communication modernes et aux médias sociaux pour battre en brèche la propagande terroriste. « Les États membres, insistait en janvier 2014 la même communication, sont également invités à mettre en place des programmes permettant aux membres de groupes extrémistes de renoncer plus facilement à la violence et aux idéologies qui la sous-tendent. » Ces recommandations étaient « le fruit de deux années de travail au sein du Réseau de sensibilisation à la radicalisation, créé en 2011 par la Commission, lequel rassemble 700 experts et praticiens de première ligne originaires de toute l’Europe ».

Des progrès insuffisants

L’année 2014 restera pourtant l’année d’un radicalisme sanglant, largement servi par l’impuissance des Européens à s’affirmer en tant qu’acteurs de la paix sur la scène internationale. Le gâchis libyen ou l’abandon syrien sont autant d’arguments mis en avant par ceux qui prônent un islam violent. Ignorance et crédulité, désœuvrement, absence de perspectives… constituent également un foyer de développement pour le radicalisme. La plupart des pays d’origine des jihadistes occidentaux en sont conscients qui tentent, ici, de sensibiliser leurs proches à la nécessité de les retenir (programme Hayat en Allemagne et en Grande-Bretagne); là, de mettre en place des modérateurs qui pourront convaincre les jeunes de ne pas se laisser aller à l’endoctrinement, comme c’est le cas dans les IPPJ belges.

Salutaire mais insuffisant. Frustrant aussi, dans la mesure où l’essentiel de l’effort des États est investi dans la répression, sa manifestation la plus tangible étant la coalition internationale que dirigent les États-Unis contre l’État islamique en Irak. En novembre dernier, lors de la session du Conseil de sécurité de l’ONU, les délégations présentes ont une fois encore souligné l’importance cruciale d’une réponse militaire « aux défis lancés à la paix et à la sécurité » par l’État islamique. À la manière du représentant français François Delattre, elles sont persuadées que « la réponse militaire internationale a permis de contrer la dynamique d’ex- pansion territoriale de Daesh ».

Une réponse militaire, soit des milliards de dollars que d’aucuns trouveraient sans doute plus utile d’injecter dans la prévention contre le radicalisme. Ici, dans nos pays, entre Anvers et Birmingham, entre Jejoen Bontinck et Al-Bitani, le bourreau de James Foley.