Depuis 2008, les élèves du Québec suivent un programme d’Éthique et culture religieuse (ÉCR). Mais les critiques restent nombreuses.
Enseigné en primaire et secondaire, ce programme remplace l’ancien régime d’option entre les programmes d’enseignement religieux catholique ou protestant et le programme d’enseignement moral. Il est obligatoire dans toutes les écoles privées et publiques du Québec. Le programme d’éthique et culture religieuse constitue l’aboutissement d’un long processus au cours duquel le système scolaire est passé de structures essentiellement confessionnelles à des structures laïques.
La loi sur l’instruction publique supprime la possibilité de choisir entre l’enseignement moral et religieux.
Au tournant des années 2000, des décisions marquent cette évolution: la Constitution est amendée afin de soustraire le Québec à l’obligation d’accorder des privilèges aux catholiques et protestants en matière scolaire. Dans la foulée, la loi sur l’instruction publique supprime la possibilité de choisir entre l’enseignement moral et religieux. « Il fallait achever le processus de déconfessionnalisation scolaire », affirme Georges Leroux, professeur de l’UQAM, qui a participé à l’élaboration du programme. « Déconfessionnaliser l’école, dit-il, c’est refuser le privilège de quelque confession que ce soit pour accéder à un espace laïc et séculier. » Dans son essai intitulé Éthique, culture religieuse, dialogue1, il explique le caractère inédit du programme, qui repose à la fois sur une formation éthique et sur la connaissance historique des traditions morales, spirituelles et religieuses. « C’est un programme culturel qui sollicite le savoir et non l’adhésion à des croyances », souligne-t-il.
Confronter les jeunes à la pluralité des croyances
Dans le programme d’ÉCR, trois compétences sont mises en avant: réfléchir sur des questions éthiques, manifester une compréhension du phénomène religieux et pratiquer le dialogue. Ces compétences découlent elles-mêmes de deux grandes finalités, à savoir la reconnaissance de l’autre et la poursuite du bien commun. « Parler de culture religieuse, dit Georges Leroux, c’est confronter les jeunes à la pluralité des croyances, des normes et des symboles qui contribuent à structurer le rapport au monde des autres. Ne pas le faire serait les condamner à l’ignorance. Des pratiques en apparence irrationnelles ne deviennent compréhensibles que si elles sont resituées dans leur cadre et leur histoire. Pourquoi les musulmans ne mangent-ils pas de porc? S’agit-il d’une coutume, d’une croyance? Il y a intérêt à comprendre ce tabou alimentaire. »
Le programme accorde par ailleurs une prédominance au christianisme, « qui fait partie de l’héritage culturel du Québec », souligne encore le philosophe. Une place importante est réservée aux autres grandes religions monothéistes, comme le judaïsme, de même qu’aux spiritualités amérindiennes. Les phénomènes de violence présents dans l’histoire des religions – croisades, affrontements entre catholiques et protestants, pogroms – sont aussi abordés.
Selon Georges Leroux, l’école publique et laïque doit être le lieu du dialogue de tous avec tous. « Son rôle n’est pas de susciter la division en prenant appui sur la diversité des confessions religieuses, mais de constituer un foyer intégrateur des différences dans la perspective du vivre-ensemble. » Quant à l’éthique, elle est venue remplacer la formation morale antérieure. « Les jeunes doivent pouvoir reconnaître la différence entre une approche rationnelle des grands enjeux moraux de l’existence humaine et celle marquée par la croyance », souligne Georges Leroux. Le programme vise à permettre aux jeunes d’acquérir une autonomie dans l’exercice du raisonnement moral en les amenant à réfléchir de manière critique sur des questions éthiques. « Pourquoi, par exemple, l’altruisme serait-il préférable à l’égoïsme? C’est une position philosophique difficile à défendre, en particulier dans notre société individualiste où le libéralisme valorise le droit à la propriété privée et l’enrichissement personnel », précise Georges Leroux. « La réflexion éthique favorise le développement des valeurs essentielles à la démocratie: tolérance, respect, recherche en commun du bien commun et des principes qui guident la discussion. »
La face cachée d’un cours
Dès la mise en place du programme d’ÉCR, la population québécoise a été divisée. Deux procès seront intentés, d’une part, contre une commission scolaire de la région de Drummondville qui refusait à des parents que leurs enfants soient exemptés de cet enseignement et, d’autre part, contre le ministère de l’Éducation qui refusait à une école secondaire privée, la Loyola High School, la possibilité de substituer au programme ÉCR son propre programme, plus conforme à sa vocation de collège catholique. Rien n’y fera: le cours d’ÉCR passera le test judiciaire et sera maintenu contre vents et marées. Mais les critiques ne cesseront pas pour autant. Elles viennent d’ailleurs de partout. De parents catholiques, partisans de l’ancienne approche confessionnelle, qui contestent le cours afin de préserver leurs enfants de l’influence des autres religions. Des nationalistes qui l’accusent de faire le jeu du multiculturalisme canadien et de contribuer à diluer la culture majoritaire. De partisans de la laïcité, enfin, qui dénoncent la persistance du religieux à l’école par l’entremise de ce cours.
C’est à ce titre qu’en septembre dernier, La face cachée du cours Éthique et culture religieuse2, un ouvrage collectif, demandait la suppression de ce cours au nom d’une opposition de principe à la religion. Les contributeurs de l’essai s’inquiètent en effet du manque de formation des enseignants chargés de donner ce cours. Ils craignent qu’au nom d’un certain respect, on endoctrine les enfants en taisant la « part sombre » des religions. Ils se demandent surtout s’il ne serait pas préférable d’adopter une approche plus strictement historique et factuelle des religions plutôt que de poursuivre dans la veine bienveillante actuelle qui fait non pas de la connaissance, mais de la reconnaissance de l’autre une de ses principales finalités.
Dans Le Devoir3, Nancy Bouchard, directrice du Groupe de recherche sur l’éducation éthique et l’éthique en éducation à l’UQAM, s’interrogeait, pour sa part, sur la mission de l’école d’éduquer au vivre-ensemble. Entre autres éléments, la chercheuse relevait que « près de la moitié des écoles réduisent sensiblement le temps d’enseignement d’ÉCR recommandé par le ministère. Il semble aussi que des écoles placent officiellement ce cours à l’horaire mais, dans les faits, lui substituent un autre cours. Quant au personnel qui donne ce cours au secondaire, tout porte à croire qu’il s’agit surtout d’enseignants d’autres disciplines, non formés en éthique et culture religieuse », dénonçait-elle.
Enfin, dans un avis rendu en décembre dernier, le Conseil du statut de la femme (CSF) estime que « ce cours ne remettait pas en question les pratiques sexistes existant au sein des religions » et soutient que « le traitement conjugué de l’éthique et de la culture religieuse peut entraîner des confusions en incitant à considérer les doctrines religieuses comme des réponses valides aux enjeux éthiques actuels ». Le Conseil recommandait dès lors que le cours soit complètement revu. La dimension religieuse devrait être intégrée dans le programme d’histoire. L’éducation à l’égalité, à la citoyenneté et à la sexualité devrait faire partie d’un cours d’éthique.
Face à cet échec, c’est désormais au politique de trancher le débat. En effet, c’est le gouvernement du Québec qui fixe le curriculum, et le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, qui devra adopter les programmes. Il a affirmé que le cours est « en révision ». « On va travailler pour voir comment on peut améliorer les choses », explique-t-il sans vouloir promettre un nouveau cours à temps pour la rentrée 2017.
(1) Georges Leroux, Éthique, culture religieuse, dialogue. Arguments pour un programme, Montréal, Fides, 2007.
(2) Daniel Baril et de Normand Baillargeon (dir.), La face cachée du cours Éthique et culture religieuse. Différence et liberté: enjeux actuels de l’éducation au pluralisme, Montréal, Leméac, 2016.
(3) Nancy Bouchard, «Apprendre à vivre ensemble: avons-nous échoué?», mis en ligne sur www.ledevoir.com, le 17 août 2016.