C’est la guerre de Trente ans qui chassera Comenius de chez lui à plusieurs reprises et ira jusqu’à lui ravir sa femme et ses enfants. Mais c’est également cette longue suite de violentes guerres entre chrétiens qui lui inspirera la nécessité de s’appuyer sur l’éducation pour remédier aux causes des conflits à répétition. Déjà!
Tous posséderont la faculté de concevoir, de choisir, de poursuivre ce qui est bon et utile.
Une théorie de l’être et de la connaissance
Comenius poursuit à la fois un but philosophique et didactique. Pour lui, il y a une raison pratique à la science qui peut s’énoncer dans les termes d’un dialogue des civilisations fondé sur l’art universel de tout enseigner à tous. Cette utopie marque l’existence d’un projet interculturel comme fondement de notre civilisation européenne que l’on doit aux « Lumières » tchèques, encore trop méconnues. La modernité de la philosophie de Comenius réside dans cette posture conciliante d’une raison qui réalise enfin sa propre critique intégrale. Il s’agit d’entreprendre une réconciliation de la raison pure et de la raison pratique, à travers une réflexion renouvelée sur les conditions d’une éducation, d’une formation de l’individu qui soit en même temps source d’individuation et synonyme d’épanouissement dans un idéal de paix entre les nations.
Les principes de la vision pédagogique de Comenius
Commençons par le but, selon Comenius, que devrait poursuivre toute vraie éducation. Dans l’ »Avertissement aux lecteurs », par lequel s’ouvre sa Grande Didactique, Comenius écrit: « Mais j’ose promettre […] une grande didactique, c’est-à-dire un art universel qui permet d’enseigner tout à tous avec un résultat infaillible; d’enseigner vite, sans lassitude ni ennui chez les élèves et chez les maîtres […]; de donner un enseignement solide, surtout pas superficiel ou formel, en amenant les élèves à la vraie science, à des mœurs aimables et à la piété de cœur.«
Nous pouvons retenir trois principes de la pédagogie de Comenius et tout d’abord la socialisation des enfants et la formation de leur caractère par l’école, l’égalité scolaire et les méthodes actives.
L’école, lieu de socialisation
Marcelle Denis, grande spécialiste de Comenius, rend bien compte de cet aspect de la pédagogie coménienne si proche des préoccupations modernes: « Bien qu’il reconnaisse l’intérêt bénéfique de l’acquisition du savoir théorique et technique, Comenius insiste à maintes reprises sur le besoin et la nécessité de la communication, de l’établissement de contacts humains. L’un des buts de l’éducation, c’est de tisser des liens solides entre les hommes. »
L’égalité scolaire
Selon Anna Heyberger, « tous les enfants […] doivent jouir du même privilège: recevoir l’instruction scolaire. […] Le devoir s’impose également d’instruire les enfants qui sont moins doués. […] Mais qu’arrivera-t-il, si tous sans distinction […] reçoivent ainsi la même éducation? […] Tous posséderont la faculté de concevoir, de choisir, de poursuivre ce qui est bon et utile. Tous sauront adapter leurs désirs aux intérêts de leur vie et en déterminer les limites raisonnables. Il faut instruire aussi bien les futurs chefs de la société humaine que ceux qui en seront les soutiens les plus humbles. De leur propre gré, […] ceux-ci s’imposeront d’obéir et de travailler avec bonne volonté. […] Ce qui a introduit dans les affaires du monde tant d’inquiétude et de violence, c’est l’inégalité de l’éducation ».
Méthodes actives
« Par nature, l’homme aime à pratiquer les choses. […] C’est pourquoi lui interdire le mouvement et l’action serait aussi pénible que de le jeter dans les fers. Dès la plus tendre enfance, cette tendance naturelle se fait jour, et avec d’autant plus de force que l’enfant est d’intelligence vive. Cela explique toutes les difficultés qu’éprouvent les enfants à assister en simples spectateurs à ce que d’autres font devant eux; ils veulent se manifester. Ils n’ont aucun plaisir à écouter passivement les autres; ils aiment interrompre et se faire entendre. […]«
S’il est permis de convoquer une catégorie kantienne qui verra le jour un siècle plus tard, l’essence critique du savoir apparaît déjà avec Comenius comme étant de nature pratique et communicationnelle: la didactique de Comenius n’a d’autre but que de souder les personnes par leur mise en relation en fonction de techniques d’apprentissage spécifiques, plus proches des pédagogies alternatives comme celles de Freinet ou Montessori.
Cet article est une version condensée et retravaillée d’un texte paru dans L’agenda interculturel, n°332, septembre 2016, pp. 4-7.