Espace de libertés – Avril 2017

Dossier
Presque plus personne aujourd’hui ne remet en cause l’utilité d’un véritable cours de philosophie et de citoyenneté (CPC) dans le cursus scolaire. Mais des résistances au changement sont toujours bien présentes. D’où viennent-elles?

Depuis le départ, l’irruption du CPC dans l’enseignement officiel fait couler beaucoup d’encre et de salive. Et malheureusement, beaucoup de médias n’en parlent encore que pour marteler inlassablement1 que les difficultés organisationnelles sont lourdes2. Ce qui est vrai mais, à la longue, le risque est grand de masquer l’essentiel: le CPC existe, il fonctionne, et, au-delà des questions légitimes de sauvegarde d’emploi, apporte à beaucoup d’élèves et d’enseignants d’intenses satisfactions. D’où viennent ces résistances? Force est de constater que les différents clergés sont à pointer du doigt. Et celui qui dispose encore du plus d’influence dans notre pays reste bien évidemment le catholique.

Des bâtons dans les roues

Il est vrai que, politiquement, la voie est royale pour tous ceux qui ont un tant soit peu d’influence sur le Centre démocrate humaniste (cdH). En effet, pour d’obscures raisons (Victoire des régionalistes wallons au sein du Parti socialiste? Récompense pour le cdH qui a refusé de céder aux sirènes de la coalition fédérale?), le Parti socialiste (PS) a totalement bradé la Fédération Wallonie-Bruxelles au profit du cdH qui, s’il détient au final relativement peu de maroquins ministériels, occupe le poste hautement stratégique de ministre de l’Enseignement obligatoire et des Bâtiments scolaires.

Ainsi, des évêques catholiques ont pu impunément tenter d’influencer les parents par un courrier vantant les mérites du cours de religion. De même, l’Église a aidé à la création d’un collectif des enseignants de religion de l’enseignement officiel (le CEREO) dont l’objectif unique est « de défendre par tous les moyens légaux les cours hebdomadaires de religions inscrits dans le programme officiel de l’enseignement organisé et subventionné par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ainsi que les professeurs qui s’y rattachent.« 3

La meilleure illustration de ces tentatives de déstabilisation du nouveau cours a été l’interview de rentrée politique en août 2016 du patron du SEGEC, Étienne Michel4. À l’issue de son université d’été, il a réussi le tour de force de ne jamais parler de son propre réseau pour, au contraire, évoquer longuement et exclusivement le cours que, malgré un avis explicite du Conseil d’État, son réseau refuse d’organiser. Pourtant, la section de législation des sages de la rue de la Science, peu importe le réseau, ce cours doit bénéficier à tous les élèves en application de l’article 29 de la Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. En réduisant ce cours à son volet « citoyenneté » et en omettant expressément son volet « philosophie »5, le SEGEC conteste l’utilité de ce cours puisque, selon lui, comme la citoyenneté doit déjà s’exercer de manière transversale au sein de l’école, nul besoin d’un cours spécifique en la matière…

Une influence venue du Saint-Siège

Ne soyons pas dupes, tout ceci vient de loin. Le Vatican n’a de cesse de rappeler le rôle qu’il assigne à son réseau scolaire: refuser toute évolution sociétale qui viendrait perturber son propre schéma de pensée. Dès lors, contrecarrer l’arrivée d’outils tels que l’enseignement de la philosophie et/ou de la citoyenneté fait naturellement partie de son arsenal. Pourtant, dans ce XXIe siècle compliqué, réinsuffler du sens est plus que jamais nécessaire. Ironiquement, le président du cdH lui-même l’a également perçu puisque, mesure phare annoncé à l’été 2016, Benoît Lutgen désire introduire un « parcours citoyen » pour les jeunes adultes de 18 à 35 ans… Comprenne qui pourra!

Ne boudons cependant pas notre plaisir: le cours de philosophie et de citoyenneté est aujourd’hui sur les rails. Il a l’immense mérite d’exister et il est inexorablement appelé à se développer. Et sans doute à ce moment, serait-il utile de relire Averroès: « Celui qui interdit l’étude des livres de philosophie à quelqu’un qui y est apte, […] nous disons qu’il ressemble à celui qui interdirait à une personne altérée de boire de l’eau fraîche et bonne et la ferait mourir de soif, sous prétexte qu’il y a des gens qui se sont noyés dans l’eau.« 

 


(1) Les articles de Pierre Bouillon dans le journal Le Soir, par exemple.

(2) Comment être surpris avec un décret voté en juillet, une possibilité pour les professeurs de postuler jusqu’au 31 août, un choix à opérer pour les parents entre les cours de religion, de morale et la dispense jusqu’au 15 septembre et, enfin, un cours amené à débuter le 3 octobre…

(3www.cereo.be.

(4La Libre Belgique, le 19 août 2016.

(5) À croire que former les jeunes à penser par eux-mêmes effraie le réseau dogmatique subventionné.