Espace de libertés – Avril 2017

« Il faut ancrer nos principes dans la Constitution »


Dossier

Un entretien avec Patrick Dewael

Le député libéral flamand a initié une réflexion autour de nos principes fondateurs, dont la neutralité de l’État. Une majorité de la classe politique le suit pour réviser et redynamiser la Constitution en ce sens.

Patrick Dewael, chef du groupe Open-VLD à la Chambre, s’est fixé un objectif qui lui tient à cœur: inscrire de manière « claire et immuable » dans notre Constitution le principe de « neutralité de l’État » et moderniser les articles liés aux valeurs fondamentales de notre nation. Sa volonté a trouvé écho favorable fin 2015 auprès de la majorité des partis politiques qui ont commencé à en débattre sous la houlette de la Commission de révision. Le gouvernement et les citoyens devraient bientôt être associés à une réflexion qui s’étendra jusqu’aux élections de 2019. La démarche fait sens. En particulier au moment où notre vivre ensemble est fragilisé au fil d’une actualité que Dewael, également président de la Commission attentats, connaît bien. L’ex-ministre-président flamand nous a reçus pour évoquer son souci de laïcité… euh, pardon, de neutraliteit, comme on dit au nord du pays.

Espace de Libertés: Quelle est votre définition personnelle de la laïcité?

Patrick Dewael: Première difficulté! Ce terme a des sens différents en Flandre, en Wallonie ou en France. En Communauté flamande, vous entendrez rarement utiliser laiciteit mais bien neutraliteit qui désigne le principe selon lequel l’autorité publique doit être absolument neutre.

Comment définiriez-vous la laïcité, alors? Vous êtes laïque?

Ce ne sont pas vos affaires! [rire] Être laïque, c’est une attitude et une philosophie personnelles qui ne se réfèrent à aucune religion. Quand mes collègues francophones utilisent le mot « laïcité » c’est dans le sens de cette libre pensée. Alors que « neutralité », c’est la manière d’être que doit adopter l’État dans tous ses comportements et ses positions vis-à-vis du citoyen. Ce n’est pas demander aux gens de ne plus penser ou de ne plus croire en rien, mais bien que l’État, lui, observe une stricte neutralité.

Et jusqu’à présent, il ne l’observe pas?

Dans l’exercice de sa fonction principale, et surtout au contact des citoyens, l’État doit être neutre. Cela signifie, par exemple, l’interdiction pour les fonctionnaires d’arborer des symboles en lien avec une quelconque religion. Sur ce point, des experts estiment que la séparation entre les religions et l’État ne se trouve pas assez clairement explicitée dans notre Constitution.

© StripmaxD’où votre initiative de réviser la Constitution?

Oui, il faut buriner de manière claire et durable nos principes fondateurs dans la Constitution. Mais la révision en chantier va au-delà, elle vise aussi à moderniser notre texte fondateur, à l’adapter aux nouvelles réalités de notre société. Par exemple, sur l’égalité hommes-femmes, la neutralité de l’État doit s’exercer vis-à-vis de toutes les formes d’union: homme-femme, deux hommes, deux femmes.

Vous avez lancé ce débat fin 2015. Quel a été le déclic? Certains disent que l’actu liée au radicalisme a dicté votre mise à l’agenda de ce sujet sensible…

Les événements du Musée Juif à Bruxelles, ceux de Paris ou de Verviers n’ont pas été un déclic pour moi. Je n’ai pas attendu la dramatique année 2015 pour me soucier des principes et valeurs qui fondent notre société. Dès le début des années 2000, notamment comme ministre de l’Intérieur, j’ai régulièrement soulevé des questions et tenté des réponses pour un meilleur vivre ensemble. Très tôt, j’ai initié les « parcours d’intégration » obligatoires. J’ai aussi tiré la sonnette d’alarme sur le radicalisme et proposé un plan de lutte… Souvent, je parlais dans le désert. Longtemps du côté francophone, il n’y a eu aucun sentiment d’urgence sur la question de l’intégration. Fin 2015 –peut-être sous l’effet des attentats de Paris?– j’ai senti une forte évolution des mentalités dans la sphère politique belge, tous partis confondus, au nord et au sud. Des opinions s’exprimaient dans la presse, émanant même de responsables écolos et socialistes, autour de la nécessité d’un vrai débat sur les valeurs qui fondent notre État de droit. Notre classe politique était mûre pour bouger. J’ai saisi cette opportunité.

L’urgence de cette réflexion tenait aussi aux frictions quotidiennes dans notre société?

Oui. Régulièrement sont survenus des accrochages autour du port du voile ou des cours de natation séparés entre garçons et filles, etc. Des autorités publiques tranchaient ces questions de façon différente faute de principes clairement énoncés dans la Constitution. J’étais persuadé qu’il fallait rapidement ouvrir un débat principiel, large et constructif, sous la houlette de la Commission de la Constitution. Avec des auditions de constitutionnalistes, de spécialistes, de philosophes… Des experts qualifiés sont venus confirmer que certains principes sont formulés de manière ambiguë dans notre Constitution, et prêtent à trop d’interprétations et de recours en justice.

Le but est de redynamiser notre texte fondamental?

Exactement. Il est essentiel qu’un État, via un débat de société, affiche clairement sa fermeté à défendre ses valeurs fondamentales. Notre Constitution, gardienne de nos valeurs les plus chères, mérite d’être revalorisée car elle est la matrice de toutes les autres législations du pays. Avec un texte fort et clair, plus question que telle Communauté, région ou ville, en Flandre, à Bruxelles ou en Wallonie, n’accouchent de régimes particuliers ou de décisions contradictoires en justice. Si à un moment, il y a des atteintes aux droits des femmes dans une communauté, ce ne doit jamais être un détail. Les gens aspirent à ce que les principes qui fondent notre État de droit soient réaffirmés, renforcés, respectés et harmonisés.

Côté politique, tous les partis jouent-ils le jeu?

Open-VLD, MR, SP-A, PS, Écolo, Groen sont partisans de l’insertion d’un texte fort en préambule à la Constitution et de la révision de certains articles. Le grand problème, c’est le CD-V qui grince: « Aujourd’hui ils parlent des musulmans et demain, ils parleront des catholiques.«  Les catholiques préfèrent le statu quo. Le CD-V s’oppose à l’ajout d’un préambule mais a quand même concédé qu’on pourrait modifier l’article 1 pour inscrire explicitement les principes de notre État de droit. Quant à la NV-A, elle est totalement schizophrène. L’idée leur plaît mais certains coincent sur le fait de modifier la Constitution belge… qu’ils méprisent! De plus, Bart De Wever craint de déplaire à son électorat catholique.

Ceux qui réclament une application stricte du principe de neutralité, notamment à travers l’interdiction de signes convictionnels dans la fonction publique et dans l’enseignement, sont taxés d’islamophobes…

L’accusation est injuste. Mais, c’est vrai qu’il faut veiller à ne pas tomber dans l’excès. Comme en France avec le burkini ou avec cette interdiction faite à des fonctionnaires de décorer un sapin de Noël sur une place. L’application concrète des principes causera des difficultés, des cas épineux à trancher, mais plus le consensus sera large et l’esprit ouvert, plus la cohésion sociale sera renforcée. Il faut savoir d’où on vient et où on peut aller. Ce que les autres, notamment les migrants, peuvent nous apporter. Construire ensemble plutôt que s’affronter. La peur ne peut être le moteur d’une société.

Le principe de neutralité doit-il aussi amener l’État à se désengager du financement des cultes et des cours de religions dans les écoles publiques?

Bonne question mais je n’ai pas LA réponse. Le financement public sur base de la diversité religieuse reconnue et subventionnée, liée à un certain contrôle, reste un système défendable. Surtout dans le cas des mosquées financées par des pays étrangers comme l’Arabie saoudite, avec le problème des doctrines qui y sont diffusées. Plus largement, certains veulent désengager l’État du financement des cultes et des écoles. Ce serait logique. Mais la Belgique est un système hybride fondé sur les compromis… Cela n’empêche pas un débat ultérieur sur l’enseignement et le reste. Mais il n’est pas inscrit à mon agenda personnel.

Quelle est l’attitude des musulmans flamands dans ce débat?

Ils sont demandeurs à condition qu’on ne le mène pas de manière culpabilisante ou stigmatisante à leur égard. Ils sont conscients qu’une clarification des principes et valeurs de l’État est un plus car chaque citoyen vivant en Belgique devra les accepter. Cela permettra de voir, notamment dans leur communauté, qui y adhère ou pas.

Que pensez-vous de la phrase de Caroline Fourest: « La laïcité n’est pas une épée mais un bouclier »?

La neutralité n’est ni l’un ni l’autre. L’État ne doit être ni défensif ni offensif mais pouvoir arbitrer et rester au-dessus de la mêlée, comme dans le sport.