Espace de libertés – Avril 2017

« Totalement archaïque, l’IVG dans le Code pénal! »


Grand entretien

Une rencontre avec Christine Defraigne

À la tête du Sénat depuis 2014, Christine Defraigne (MR) ose prendre position dans les débats éthiques. Oui, l’IVG doit sortir du Code pénal. Oui, la laïcité doit être inscrite dans la Constitution. Non, les accommodements raisonnables ne sont pas une bonne idée. Celle qui se passionnait déjà pour les débats politiques à 12 ans nous parle de son engagement en faveur des droits des femmes et des libertés individuelles.

Espace de Libertés: États-Unis, Russie, Pologne: les droits des femmes régressent. Quel regard de politique et de femme portez-vous sur cette actualité? 

Christine Defraigne: Je suis très inquiète. En devenant parlementaire en 1999, je n’aurais jamais imaginé que les droits fondamentaux des femmes puissent être remis en cause. J’appartiens à une génération qui considérait – à tort – ces droits comme acquis. Nos aînées ont mené des combats pour nous permettre d’avoir plus de libertés et d’être reconnues. Mais ces droits sont fragiles. Le droit à disposer de son corps, ça me semblait inhérent à nos conditions féminines quand je suis devenue jeune adulte. Mais 30 ans après, ça n’a jamais été aussi précaire. Je dis toujours: je suis aujourd’hui beaucoup plus féministe que quand j’avais 20 ou 30 ans.

La Belgique est-elle épargnée par le retour du conservatisme? 

Ce qui se passe aux États-Unis est hallucinant. Mais, on le voit avec la Hongrie et la Pologne, l’Europe n’est pas épargnée. Ces idées percolent dans notre société et notre débat politique. Comme on dit: « Ils n’en mouraient pas tous mais tous en étaient frappés. » Il faut vraiment se concentrer pour garantir chez nous ces droits élémentaires. Le débat qui a lieu en ce moment sur la sortie de l’avortement du Code pénal est vraiment essentiel, parce c’est un problème de santé publique.

Libérale, ça signifie pour moi: défendre les libertés fondamentales, les libertés humaines, les droits humains.

Sortir l’IVG du Code pénal est essentiel, selon vous?

Tout d’abord, sa place et sa qualification pénale sous le titre 7 « Délit contre l’ordre des familles et la moralité publique » sont d’un autre âge. C’est totalement archaïque. Notre Code pénal a un siècle et demi, et les mentalités – en tout cas on peut l’espérer – ont évolué. Ensuite, nous devons réagir par rapport à un certain nombre d’assauts contre la dépénalisation partielle de l’avortement. Il y a des propositions de loi sur la table sur le statut d’enfant né sans vie. Même si elles ont des nuances et des degrés divers, ces propositions confèrent un statut juridique à l’embryon. Et qui dit statut juridique de l’embryon dit évidemment remise en question du droit à l’avortement. Si l’embryon a un statut juridique, lui porter atteinte, c’est de la non-assistance à personne en danger, donc un délit.

Vous avez accueilli au Sénat un colloque sur cette question, auquel deux partis, le CD&V et la N-VA, n’ont pas participé. Y a-t-il donc des sujets tabous au sein de la majorité fédérale?

Je regrette l’absence de ces deux formations, qui avaient évidemment été conviées. Mais toutes les questions éthiques et bioéthiques sont une affaire de parlement, pas de gouvernement. Certaines formations sont moins réceptives que d’autres. Le point de vue du CD&V, je le connais et le respecte, mais il faut pouvoir laisser le Parlement faire son travail. Il y a d’ailleurs beaucoup de sujets éthiques, bioéthiques, qui mériteraient une attention particulière et sur lesquels nous devrions nous pencher. Au Sénat, on a établi un rapport sur la « gestation pour autrui » qui mériterait une avancée législative. Tous les ingrédients sont là pour un texte de loi qui prévoirait un encadrement mais pour le moment, le débat est en panne.

Autre question éthique: l’euthanasie. Le sénateur CD&V Steven Vanackere demandait il y a un an une révision de la loi, estimant qu’elle ne prévoyait pas de barrières suffisantes pour des « cas extrêmes ». Êtes-vous prête à rouvrir ce débat ?

Monsieur Vanackere dit que la loi actuelle lui pose des difficultés et qu’il faudrait rouvrir le débat. Pas de problème! Mais alors on rouvre toutes les composantes du débat et on ne se focalise pas sur un élément de la loi qui déplairait à certains, en l’espèce la question des souffrances psychologiques. Je suis prête à tous les débats mais, alors, on discute de la déclaration anticipée et de l’euthanasie dans le cadre des maladies neurodégénératives. Si on rouvre une boîte de Pandore, on court toujours des risques. Mais il n’est pas question de garder un seul angle restrictif et détricoter les acquis. Personne n’est obligé de demander une euthanasie. C’est un droit accordé à celles et ceux qui veulent en faire usage. C’est une liberté supplémentaire qui répond à la conception que chacun a personnellement de sa fin de vie et de sa dignité humaine. Je respecte ceux qui ne souhaitent pas recourir à l’euthanasie mais je refuse qu’on retire ce droit à ceux qui veulent utiliser la loi.

En tant que députée wallonne, vous avez déposé une proposition de décret visant à interdire l’abattage des animaux sans étourdissement préalable. Le bien-être animal ne devrait donc souffrir d’aucune exception, y compris religieuse?

Cette proposition m’est chère et je ne désespère pas d’aboutir. Elle a été discutée au parlement et envoyée au Conseil d’État. Pour moi, il ne doit pas y avoir d’exceptions: l’abattage doit toujours se faire avec étourdissement. On ne peut pas admettre de laisser souffrir les animaux alors qu’on refuse de laisser souffrir les humains. J’ai la conviction que l’on peut respecter la liberté religieuse, être en parfaite conformité avec sa foi, tout en évitant la souffrance des animaux. Je pense que le Coran n’impose pas cette souffrance. Au contraire. J’ai beaucoup discuté avec des musulmans qui seraient prêts à faire le pas. Il ne faut plus faire d’exceptions pour des motifs religieux, ça ne se justifie pas. Et tout le monde y gagnerait, y compris une filière purement économique halal et la qualité de nos abattoirs. Si on peut certifier que les animaux n’ont pas souffert, l’ensemble de la filière économique aura à y gagner.

Inscrire la laïcité dans la Constitution permettrait-il de mettre fin à ces exceptions religieuses?

C’est aussi un débat intense qui est bloqué à la Chambre et qu’il faut faire progresser. Il ne faut pas abandonner uniquement à la jurisprudence et aux tribunaux le soin de définir ce qu’est ou pas la neutralité de l’État. Le législateur et le constituant doivent prendre leurs responsabilités. Moi, je penche pour le terme « laïcité » qui a le mérite de la clarté juridique. Ça permettra de régler la question des signes convictionnels ostentatoires dans la fonction publique ou celle des accommodements raisonnables. Je suis contre ces « accommodements », qui sont aussi attentatoires à la liberté de la femme. Les accommodements raisonnables deviennent très vite déraisonnables. Où est la frontière? Où s’arrête-t-on?

D’une inscription claire et nette de la laïcité dans la Constitution déboucheront des implications concrètes de nature à améliorer le vivre ensemble. Ça ne va pas régler tous les problèmes, il faut travailler sur l’intégration, l’enseignement, la culture, l’emploi, l’égalité des chances. Mais si dans sa norme fondamentale, la Belgique prévoit une séparation des Églises et de l’État, permet la liberté de culte et traite toutes les religions sur un pied d’égalité, ça permettra de tirer des règles concrètes, nécessaires pour harmoniser notre vivre ensemble.

Sur votre site, vous écrivez: « Je suis une libérale, proclamant cette appartenance politique et m’insurgeant du fait que l’on galvaude cette pensée humaniste pour la caricaturer, la déformer. » C’est-à-dire? 

Je confirme: je suis une libérale, une libérale sociale. Ça signifie que si on crée une prospérité économique, si on crée de la richesse, il faut toujours la partager et la redistribuer de façon équilibrée. Ce qui m’agace, c’est ce glissement de la pensée, ce glissement un peu malhonnête intellectuellement, de libéral à néolibéral. Moi, je ne me sens pas néolibérale. Libérale, ça signifie pour moi: défendre les libertés fondamentales, les libertés humaines, les droits humains. Et je n’aime pas qu’on galvaude le mot « libéral » pour lui donner une connotation négative.