L’exposition « Frontières imaginaires », conçue par Louma Salamé, directrice de la Fondation Boghossian, à la Villa Empain, redessine les frontières de notre monde territorial et mental à travers les œuvres de douze artistes internationaux. Un voyage qui invite le spectateur à redécouvrir les frontières, sous diverses formes et dont les enjeux politiques et historiques n’échappent pas au regard.
Elles sont l’essence même de nos différentes cultures et de nos appartenances identitaires. Depuis 1648, par le traité de Westphalie, les frontières se dessinent sur des cartes par l’homme. Elles sont appelées « frontières artificielles » et se différencient des supposées « frontières naturelles ». Aussi longtemps qu’on puisse remonter dans l’histoire, l’homme a délimité des territoires, par survie, par conquêtes, par guerres. Des nations en sont nées. Mais l’erreur serait de croire que les cultures se développent en autarcie, elles sont le fruit de multiples échanges au cours du temps et elles traversent les frontières territoriales et, surtout, mentales.
Des frontières aux multiples facettes
La Fondation Boghossian installée à la Villa Empain s’est donnée comme mission « de rapprocher les peuples par le biais de la culture ». L’exposition « Frontières imaginaires », première exposition de Louma Salamé, est un défi relevé avec brio. Construite en deux volets, elle rassemble douze artistes internationaux venus d’univers différents. Le premier volet propose une vision politique en présentant des œuvres d’artistes inspirés par les questions d’exil, d’immigration et sensibles aux problématiques identitaires. C’est le cas de l’artiste d’origine libanaise Mona Hatoum qui travaille aujourd’hui entre Londres et Berlin. Artiste de grand talent, elle a été contrainte de s’exiler pour fuir la guerre civile qui déchirait son pays. Son œuvre Projection présente la carte du monde telle que nous la connaissons, mais à ceci près qu’elle est réalisée en coton déchiré et illustre la fragilité de ces représentations familières.
L’autre volet s’apparente à une vision plus cognitive et émotive avec des œuvres qui illustrent les frontières de l’esprit et de l’âme humaine. A map of an Englishman de Grayson Perry en est un exemple: « L’artiste réalise dans ses gravures la topologie imaginaire de ses rêves et de ses peurs […] où l’on découvre une mer intitulée Démence et une rivière qui porte le nom d’Ambition et un lac qui s’appelle Conscience. »
Sur les traces frontalières de l’homme
Depuis 1900, les États se sont multipliés et ont tracé toujours plus de lignes droites sur les cartes. L’évidente conséquence de cette multiplicité s’est façonnée dans les réalités politiques, ethniques, culturelles, confessionnelles et linguistiques.
Le découpage des territoires a de lourdes responsabilités dans l’histoire des conflits entre nations, et souvent au sein d’une même nation. C’est un fait dans toutes les consciences, les livres d’histoire et l’actualité nous renvoient à une bien piètre image des frontières. « Les frontières ne sont pas nécessairement synonymes de conflits mais ce qu’on observe aujourd’hui, c’est que les zones frontalières sont devenues sujettes à de nombreuses craintes. La crise des migrants a ravivé le besoin de délimiter nos frontières. On a bâti alors des murs mentaux et matériels. Or, l’histoire nous montre que nous avons combattu ces murs car leurs conséquences humaines et politiques ont été dévastatrices. »
Quand l’art poétique flirte avec le politique
Contempler ces œuvres hétéroclites suscite inévitablement divers sentiments. Entre admiration face à la beauté esthétique des unes et incompréhension des autres, le spectateur éprouve l’envie de revenir plusieurs fois sur une œuvre car toutes interpellent. Louma Salamé a souhaité mettre en avant la diversité des formes que pouvait prendre une frontière dans l’art pour dépasser ses représentations et redécouvrir la notion même de frontière, tant territoriale qu’imaginaire. Elle invite à « montrer plutôt que démontrer » en proposant une vision d’abord « poétique puis politique ».