Espace de libertés – Avril 2017

De la nécessité de voir ces « Enfants du Hasard »


Arts
Avec leur nouveau documentaire Les Enfants du Hasard, Thierry Michel et Pascal Colson nous immergent dans le quotidien passionnant d’une école primaire d’une ancienne cité minière. Un film particulièrement revigorant…

Dans la petite école communale de Cheratte, ancienne cité minière de la région liégeoise, des élèves issus de l’immigration terminent leur cycle d’étude primaire avec Brigitte, une institutrice dynamique, voire tendance dynamite. Touchant de bout en bout, le film suit ces enfants dans leur quotidien, tout au long de l’année scolaire. Dans un monde en mutation accélérée, face aux réseaux sociaux et à la mise en cause de l’Islam après les attentats terroristes, l’approche pédagogique suivie par l’enseignante passe par le charbonnage voisin et permet aux enfants de se construire. Les liens ainsi tissés permettent à toute une communauté de s’intégrer dans un patchwork lumineux et coloré.

Solaire, concerné, émouvant… ce nouveau documentaire réunit à lui seul toutes les caractéristiques de l’œuvre de Thierry Michel pour qui le cinéma s’est toujours confondu avec la « vraie » vie! Véritable anthropologue par l’image, c’est armé d’une caméra à l’épaule que le réalisateur liégeois a décidé de scruter la société et d’interpeller nos réalités. Et, cette fois, à travers elle, il part à la découverte d’une région coincée entre préjugés, acier et charbon.

Retour à Liège

Après 25 ans d’aventures africaines ponctuées des cinglants Katanga Business et L’Homme qui répare les femme, Thierry Michel a donc repris la direction de la Cité Ardente. Le projet de départ était de réaliser un diptyque sur la démolition des ruines du charbonnage du Hasard et d’une usine sidérurgique. Accompagné de son co-réalisateur, Pascal Colson, Thierry Michel croise la route de Christine Pireaux (devenue co-auteure du film) qui les aiguille vers l’école communale de Cheratte-Bas. C’est là, au cœur de la 5-6e primaire de Brigitte Waroquier, qu’ils décident de planter leurs caméras: seize enfants ayant tous un grand-père venu de Turquie. Quinze gosses de confession musulmane et un qui profite, seul, de l’enseignante de morale. Fils de professeure lui-même, Thierry Michel explique être « revenu se mettre à l’écoute empathique d’enfants de onze ans. Qui vont tout doucement quitter l’enfance. Avec leurs illusions et, aussi, une prise de conscience des réalités de la vie« . Résultat: un film à hauteur d’humanité, parfaitement construit sous ses airs de ne pas y toucher, et qui réussit l’équilibre parfait entre la spontanéité et ce que Michel veut faire passer.

Humain et humanité…

Mention spéciale pour la magnifique bande-son, confiée aux bons soins de Michel Duprez: « J’avais déjà collaboré avec Thierry Michel dans le cadre de L’homme qui répare les femmes, explique le compositeur montois. Il pratique un cinéma que j’apprécie. Parce qu’ici encore, je savais que nous allions parler d’humanité. Ses Enfants du Hasard m’a touché, voire carrément bouleversé. Et, croyez-moi, ce n’est pas toujours le cas quand on travaille sur un film. Ici, il s’agit d’une œuvre avec de nombreux personnages d’enfants et une multitude de sujets de la vie quotidienne. Il me fallait donc une musique qui soit positive, belle. Tout simplement… empreinte à parts égales d’humain et d’humanité. »

Passionné par les métissages, doté d’un fort sentiment de compassion qui lui vient, dit-il, de son éducation chrétienne, Thierry Michel recherche la fiction dans le réel. « Je sens plus la pulsion de vie dans le documentaire. Alors que je sens encore trop la pulsion de mort dans l’imaginaire. Cette envie sans cesse renouvelée semble être le bon ferment pour d’autres documentaires, et un aliment essentiel pour continuer à s’interroger sur le monde qui nous entoure. La fiction, elle, demande trop de patience. » Et notre homme de s’avouer trop impatient. « J’ai trop envie d’agir. Ce métier me confère une énergie et une amplitude essentielles. Ma carrière doit tout à la passion et à la pugnacité. Mais pas grand-chose au… hasard. »