Espace de libertés – Avril 2017

Joëlle Sambi Nzeba, portrait pluriel


Arts
Née en Belgique, ayant grandi en partie à Kinshasa, Joëlle Sambi Nzeba réside à Bruxelles et y exerce son activité d’écrivaine, parallèlement à une activité professionnelle au sein d’un mouvement féministe. Auteure de fictions ayant remporté divers prix (Le Monde est gueule de chèvre, roman, 2007 et Je ne sais pas rêver, nouvelles, 2002), elle questionne les situations d’impuissance et soulève des interrogations sur l’identité, la norme, l’appartenance.

Espace de Libertés: Quelle Belgique vois-tu en toi?

Joëlle Sambi Nzeba: Bruxelles. Un truc entre les choux de Bruxelles à la sauce cocktail dans un bar poussiéreux, parfaite réplique de son cousin kinois, à Matongé. Un non-sens quoi. Une appartenance hybride qui chante « indépendance cha-cha oui peut-être » dès que le crachin fait son apparition soit à peu près 300 jours sur l’année et que les gouttelettes nettoient le sang de la statue de Léopold II, du Palais de Justice, du musée de Tervuren, etc. C’est ça la Belgique en moi.

Comment est née ta  conscience féministe?

J’ai grandi dans un pays où tout le monde était noir, donc je n’ai pas vraiment souffert, expérimenté le racisme à titre personnel même s’il existait au Congo suite à la colonisation. Cependant, j’ai expérimenté le mépris de classe bien plus que le racisme. Ceci explique qu’aujourd’hui, dans mon engagement militant, féministe, ce qui me pousse à la révolte c’est d’abord ce rapport dominant-dominé, celui qui infériorise, diminue et déshumanise en se basant d’abord sur la possession. On peut dire que mon « éveil féministe » s’est fait à partir du moment où j’ai compris que, parce que j’étais une fille, je n’avais pas les mêmes droits ni les mêmes libertés que les garçons. Souvent, cela se traduisait par des privations, des interdits qui me paraissaient injustifiés et révoltants. C’est dans un deuxième temps, qu’est venue une véritable conscience féministe. J’ai compris que c’est tout un système de dominations qui croise plusieurs discriminations: le sexe, la race, le genre, la classe, etc.

Quelles nécessités te poussent à avancer?

Quand on est congolais de ma génération, en Belgique (et aussi au Congo, d’ailleurs), on ne connaît pas grand-chose de sa propre histoire. En dehors du récit de la colonisation, de la dictature, des guerres, on n’a pas beaucoup de figures. Les héros appartiennent à d’autres terres, ce sont les bourreaux. Les héros sont blancs, puissants, lointains. Ce qui rend la lutte difficile. L’absence de modèle, un peu comme un cadre vide. Laisser une trace, même petite, construire nos récits, donner du sens à celles et ceux qui suivent, c’est ce qui me fait avancer. Ce qui est certain, c’est qu’on est plus fort, plus ardent quand on sait que d’autres sont passées par les mêmes feux et qu’ils y sont arrivés à leur mesure. Militer, c’est laisser des jalons, ouvrir des voies pour que la lutte continue.

Des associations afro-féministes ont été accusées de communautarisme, comme MWASI qui organise des réunions non mixtes, uniquement réservées aux femmes afro-descendantes, pourquoi est-ce nécessaire selon toi?

Quand les dominés s’organisent, s’arment contre les différentes oppressions, il y a toujours des érudits pour nous expliquer qu’il vaut mieux rester dans le champ de coton. Si le communautarisme, c’est se donner les moyens de répondre à la violence du système, alors c’est une phase nécessaire dans la lutte contre les injustices. On n’a jamais vu les dominants s’organiser pour perdre leurs privilèges. Par contre, ils tentent toujours de criminaliser celles et ceux qui se révoltent en les accusant de créer des divisions. Les dominants sont communautaristes mais ils tentent de le faire oublier et n’aiment pas qu’on le leur rappelle. Arrêtons de mettre sur un même plan les stratégies des uns et des autres parce que les rapports sociaux et les places de chacun(e)s ne sont pas identiques. Si les femmes afro-descendantes s’organisent pour lutter contre tout un système raciste, sexiste, lesbophobe… ce n’est pas la même chose que de prétendre vouloir dominer la société blanche. Que je sache, ce sont les Blancs qui ont produit la classification des races, jusqu’à justifier l’esclavage et la colonisation. Les groupes qui s’organisent – même en non-mixité – n’inventent rien, ils répètent l’histoire. Il suffit de prendre l’exemple de la lutte pour les droits civiques aux USA où les Noir.es se sont organisé.es entre eux pour parvenir à obtenir des droits. Cela n’a rien de criminel et il ne peut pas y avoir de lutte autrement, sinon qui luttera à leur place?