Espace de libertés – Avril 2017

Campagne présidentielle en France: l’histoire et la laïcité à la torture


International
Empêtrés dans les scandales et les affaires judiciaires, les candidats à la présidence rivalisent en sorties spectaculaires visant à imposer un « roman national », quitte à réécrire l’histoire. Cible privilégiée des attaques de droite comme de gauche, la laïcité est désormais stigmatisée comme « instrument d’oppression ».

La première grenade dégoupillée a été lancée par Emmanuel Macron, ex-ministre de l’Économie de François Hollande, surfant sur une ligne néocentriste et donné dans toutes les projections comme qualifié au second tour face à la candidate d’extrême droite. En déplacement en Algérie, Macron a déclaré à propos de la colonisation française: « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité.«  Tempête garantie et psychodrame national. Cette sortie a aussitôt déclenché un tonnerre d’invectives, loin d’être cantonné aux seuls nostalgiques de l’Algérie française. D’éminents historiens tel Henry Rousso, spécialiste de l’Occupation et de la Shoah, ont dénoncé la « confusion » et la méconnaissance historique crasse du candidat. Les mots ont un sens et les pieds-noirs1, comme les Harkis2, d’abord victimes, ont peu apprécié d’être assimilés à des nazis. « Je ne ferai pas repentance et ne m’excuserai pas!« ,  a clamé Macron en meeting avant, dans la même phrase, de demander « pardon » et de lancer un très gaullien « Je vous ai compris! ».

Cette campagne est électorale est aussi l’occasion d’un jeu de massacre des valeurs fondatrices de la République.

La maladie du discours politique

Cet épisode de crispation serait anecdotique s’il n’était le symptôme d’une pathologie du discours politique actuel. Le même Macron s’est illustré en estimant: « Il n’y a pas de culture française mais une culture en France ». Une ode pas même voilée à un multiculturalisme sur lequel prospèrent les communautarismes. Cette nouvelle polémique hystérique semble faire écho à la stupéfiante affirmation de Nicolas Sarkozy, alors en campagne: « Lorsque l’on est français, nos ancêtres sont les Gaulois ». Ces formules à l’emporte-pièce font, bien évidemment les délices de Marine Le Pen, elle-même poursuivie pour les turpitudes financières du FN, qui, une fois élue, entend bien imposer une lecture coercitive de l’histoire de France en s’engageant à « défendre l’identité nationale, les valeurs et les traditions de la civilisation française. Inscrire dans la Constitution la défense et la promotion de notre patrimoine historique et culturel« . Son programme précise à cet égard qu’il s’agit de « renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national et le refus des repentances d’État qui divisent ». Nous y voilà. Possiblement impuissants à répondre aux plaies que sont le chômage de masse, la désindustrialisation, l’indigence du niveau scolaire ou la paupérisation du système de santé, dans un pays qui compte 6 millions de chômeurs et 9 millions de pauvres, les candidats à la présidence de la République réécrivent frénétiquement un « roman national » censé tenir lieu d’idéal. Marque de fabrique des dictatures, la traduction concrète est connue: l’histoire n’est plus objet d’étude des historiens, de leurs recherches et leurs débats, mais écrite par le politique. Illustration concrète: la ministre de la Défense de Jacques Chirac s’y était déjà essayée lorsque, en 2005, elle avait fait adopter une loi disposant que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». L’alinéa fut abrogé l’année suivante.

Islamo-gauchistes et catholiques bon teint, alliés objectifs

Triturer l’histoire ne suffit pas. Cette campagne électorale est aussi l’occasion d’un jeu de massacre des valeurs fondatrices de la République. Première cible, et non des moindres, la laïcité. L’ancien ministre socialiste de l’Éducation et candidat en son temps, Vincent Peillon, a été le premier à pousser l’ineptie à son paroxysme, en déclarant: « Certains veulent utiliser la laïcité ça a déjà été fait dans le passé contre certaines catégories de population. C’était il y a 40 ans (sic, soit en 1977!) les Juifs, à qui on mettait des étoiles jaunes, c’est aujourd’hui un certain nombre de nos compatriotes musulmans, qu’on amalgame souvent avec les islamistes radicaux: c’est intolérable.«  Cette comparaison d’un goût douteux n’est pas nouvelle. Orphelins d’un prolétariat à défendre, plus de 50% des ouvriers votant désormais Front national, certains se sont trouvés de nouveaux opprimés à sauver, les musulmans de France. Et un nouvel ennemi, la laïcité, fille de la République. Le candidat socialiste Benoît Hamon ne dit pas autre chose lorsqu’il clame, le 27 février dernier: « La laïcité est utilisée comme un instrument antimusulman et exclusivement antimusulman.«  François Fillon, le candidat des « Républicains », lui, s’est défini comme « gaulliste et chrétien ». Un deuxième qualificatif qui ne doit rien au hasard. Fillon flatte en effet l’électorat issu des manifestations monstres organisées contre le mariage gay. C’est d’ailleurs l’excroissance politique de ce mouvement traditionnel et réactionnaire, Sens Commun, qui, le 5 mars dernier, au Trocadéro, a été chargé d’organiser le rassemblement de soutien au candidat Fillon, noyé jusqu’aux sourcils par l’instruction le visant pour détournements de fonds publics, abus de biens sociaux, recel de ces délits, trafic d’influence et manquement aux obligations déclaratives devant la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (ouf!). Charlie Hebdo vient de lancer un appel à tous les candidats pour que soit sanctuarisée la laïcité inscrite dans la loi de 1905. Sans grand succès. Il fut un temps où les politiques clamaient « Je suis Charlie ». C’était après le bain de sang terroriste qui submergea le journal. C’était il y a deux ans. Une éternité.

 


(1) Surnom donné aux Français d’Algérie.

(2) Supplétifs algériens au service de la France.